RÉFLEXIONS SPONTANÉES SUR L'ART
Réflexions sur mon processus créatif pour les arts visuels et littéraires.
Réflexions en lien avec l'exposition Les corps-lieux - décembre 2017
Les corps-lieux est une exposition de tableaux abstraits présentée au Musée de la Gaspésie à Gaspé du 29 novembre 2017 au 25 janvier 2018.
Tout au long du processus la création n’a pas tenue la ligne de la fluidité dans le geste et dans l’émotion. Mais à la toute fin (veille de l’accrochage et du début de l’exposition), surprise, la création redevient jeu. Je retouche au plaisir de créer, qui est, enfin, la raison pour laquelle j’ai envie de poursuivre et d’explorer par la création, ce monde même de la création, saisissable que par un lâcher prise et une envie de jouer irrépressible. JOUER. JOUIR. JOUER.
Ne jamais complètement assouvir ma curiosité, découvrir au fur et à mesure, au fil des gestes et des actions, cet univers que j’abrite, celui qui ne prend corps que sur le panneau de bois, la toile, la feuille, dans l’espace physique, dans le temps, dans l’époque, dans l’œil du regardeur, dans le cœur d’autrui.
La création est vie. La vie est création. Tant qu’il y a de la vie, il y a de la création. Tant qu’il y a de la création, il y a de la vie.
Fou, fou, fou et jouissif cette capacité à donner naissance, à créer des univers tout à fait singuliers par gestes, présence, temps, possibilité, disponibilité, révolte, jeu, curiosité, désir, amour, nécessité, humanité.
Quelque part en moi, j’avais hâte de conclure l’élaboration de cette exposition. Les désirs viennent et repartent, tout comme les idées. Le calme renouvelé de Percé et la saison refroidie qui s’installe me tirent vers l’écriture, autre mouvement créatif, autre langage. Mais j’ai ressentie dans mon corps et dans mon esprit chaque geste posé envers et sur ces tableaux. Bien que je n’ai pas touché cette grâce recherchée, il y avait nécessité de passer par ce chemin, ce pont entre celle que j’étais et celle que je suis devenue après la création de ces tableaux.
Il y a des œuvres, tout comme il y a des tableaux. Il y a aussi le pont entre les deux, de ceux qui continuent de bouger et d’exposer le processus.
J’ai débuté cette série abstraite avec l’idée de poursuivre le geste extérieur, lui-même animé d’une émotion, qui elle était teinté par les bouleversements de la température (la saison automnale). Comme si une chorégraphie était inscrite, préétablie en moi, je me présentais au panneau de bois. Mais en fait, je me suis leurré car l’art n’en a rien à foutre de mon petit quotidien, de mes averses amoureuses, de mes délires familiaux, de mes respirations automnales. L’art a un langage propre et je reste le canal par lesquels les idées, le langage, un univers (ou des fragments d’univers) prendront forme. L’art a ses émotions, ses averses, ses délires, sa propre respiration. Je ne dois pas mélanger les deux mondes. Le sien se rapproche davantage de l’onirisme, alors que le mien est beaucoup trop terre-à-terre ou premier degrés (compétitif, culpabilisant, insatisfait, moqueur, comparaison…). Reste que les deux univers sont aussi humains l’un que l’autre, mais ils passent par des avenus qui n’existent pas dans les mêmes images, les mêmes sons, les mêmes tournures de phrases.
Je pars alors nue, complètement nue et sauvage, sans vêtements (c’est une image) et surtout sans idées préconçues, sans espoir, sans attente, mais pas sans incertitude, en exploration. Je vais à la rencontre de l’art et je le laisse décider de tout. Il doit faire ses choix parmi les couleurs que j’ai à disposition, parmi les éléments qui m’entourent et l’espace-temps qui m’est alloué. Mais il lui est permis de tout transformer, de tout réorganiser, de tout désorganiser surtout. L’art me prend la main, le corps, l’esprit pour me faire voyager avec lui en des lieux que je n’aurais jamais pu soupçonner. Il me met les outils en main, il me laisse me perdre pour que je puisse m’en sortir en me débrouillant comme une grande et pour trouver le chemin du retour. Je dois être en mesure de revenir. Je dois revenir.
En d’autres mots, avec l’art, je suis prédisposé à ne rien connaître à l’avance, à ne rien vouloir contrôler, à n’avoir aucune attente tant pour le résultat final que pour tout le processus (l’ici et maintenant de la création et non le rituel de départ) de création. Il me faut alors laisser le corps et la curiosité agir de leur plein grès et me placer au service de l’instant créatif, pour être captivée par le moment, pour le vivre pleinement, juste pour voir ce que ça pourrait donner. Je suis à cet instant, totalement dépouillée de tout discours préétablit ou personnel, déliée de toutes émotions liées au quotidien, dépourvue de tout égo.
Mais je reviens de ce périple, car, je le répète, il faut revenir. Je questionne alors le résultat, il n’existe plus en moi et il n’existera plus jamais en moi, il est devenu objet. Je le regarde, le contemple, le questionne, je tente d’expliquer l’inexplicable. Je parle avec des mots que je connais. Je propose des idées qui me traverses, teintées d’émotions, de souvenirs, d’une histoire, d’une présence physique réelle. Avant de me jeter à nouveau dans la gueule ouverte de la belle bête sauvage de la création, je me retrouve pour faire le point, pour aiguiser mes armes, pour voir ce que je deviens, pour comprendre un peu mieux le monde qui m’habite et par le fait même celui que j’habite.
SAUVAGE, comme dans nature, pureté, grandeur, perte de cadre, essence, désir, amour.
Il faut un mixte serré et constant entre le geste primitif, le moment créatif et le discours. Ils se suivent, s’animent, se nourrissent l’un de l’autre. Ils se tracent et vivent les uns pour les autres, comme une communauté. Ensemble ils font l’amour, ils font la révolution.
Je suis donc passé du désir d’exprimer à l’abstrait des émotions véhiculées par l’automne, à me laisser porter par l’art.
Les corps-lieux. J’ai donné lieux (panneaux de bois) à ces espaces-fragments de mon corps intérieur et de tout ce qui s’y trame. Les tableaux semblent vivants de par ma manière de les aborder. Ils continuent de bouger, de rire, de crier, de chanter, de danser, de jouer. Ils ne sont pas immobiles ou muets, ils s’expriment, ils continuent d’être habités dans l’œil de celui qui les regarde.
Les corps-lieux est une exposition de tableaux abstraits présentée au Musée de la Gaspésie à Gaspé du 29 novembre 2017 au 25 janvier 2018.
Tout au long du processus la création n’a pas tenue la ligne de la fluidité dans le geste et dans l’émotion. Mais à la toute fin (veille de l’accrochage et du début de l’exposition), surprise, la création redevient jeu. Je retouche au plaisir de créer, qui est, enfin, la raison pour laquelle j’ai envie de poursuivre et d’explorer par la création, ce monde même de la création, saisissable que par un lâcher prise et une envie de jouer irrépressible. JOUER. JOUIR. JOUER.
Ne jamais complètement assouvir ma curiosité, découvrir au fur et à mesure, au fil des gestes et des actions, cet univers que j’abrite, celui qui ne prend corps que sur le panneau de bois, la toile, la feuille, dans l’espace physique, dans le temps, dans l’époque, dans l’œil du regardeur, dans le cœur d’autrui.
La création est vie. La vie est création. Tant qu’il y a de la vie, il y a de la création. Tant qu’il y a de la création, il y a de la vie.
Fou, fou, fou et jouissif cette capacité à donner naissance, à créer des univers tout à fait singuliers par gestes, présence, temps, possibilité, disponibilité, révolte, jeu, curiosité, désir, amour, nécessité, humanité.
Quelque part en moi, j’avais hâte de conclure l’élaboration de cette exposition. Les désirs viennent et repartent, tout comme les idées. Le calme renouvelé de Percé et la saison refroidie qui s’installe me tirent vers l’écriture, autre mouvement créatif, autre langage. Mais j’ai ressentie dans mon corps et dans mon esprit chaque geste posé envers et sur ces tableaux. Bien que je n’ai pas touché cette grâce recherchée, il y avait nécessité de passer par ce chemin, ce pont entre celle que j’étais et celle que je suis devenue après la création de ces tableaux.
Il y a des œuvres, tout comme il y a des tableaux. Il y a aussi le pont entre les deux, de ceux qui continuent de bouger et d’exposer le processus.
J’ai débuté cette série abstraite avec l’idée de poursuivre le geste extérieur, lui-même animé d’une émotion, qui elle était teinté par les bouleversements de la température (la saison automnale). Comme si une chorégraphie était inscrite, préétablie en moi, je me présentais au panneau de bois. Mais en fait, je me suis leurré car l’art n’en a rien à foutre de mon petit quotidien, de mes averses amoureuses, de mes délires familiaux, de mes respirations automnales. L’art a un langage propre et je reste le canal par lesquels les idées, le langage, un univers (ou des fragments d’univers) prendront forme. L’art a ses émotions, ses averses, ses délires, sa propre respiration. Je ne dois pas mélanger les deux mondes. Le sien se rapproche davantage de l’onirisme, alors que le mien est beaucoup trop terre-à-terre ou premier degrés (compétitif, culpabilisant, insatisfait, moqueur, comparaison…). Reste que les deux univers sont aussi humains l’un que l’autre, mais ils passent par des avenus qui n’existent pas dans les mêmes images, les mêmes sons, les mêmes tournures de phrases.
Je pars alors nue, complètement nue et sauvage, sans vêtements (c’est une image) et surtout sans idées préconçues, sans espoir, sans attente, mais pas sans incertitude, en exploration. Je vais à la rencontre de l’art et je le laisse décider de tout. Il doit faire ses choix parmi les couleurs que j’ai à disposition, parmi les éléments qui m’entourent et l’espace-temps qui m’est alloué. Mais il lui est permis de tout transformer, de tout réorganiser, de tout désorganiser surtout. L’art me prend la main, le corps, l’esprit pour me faire voyager avec lui en des lieux que je n’aurais jamais pu soupçonner. Il me met les outils en main, il me laisse me perdre pour que je puisse m’en sortir en me débrouillant comme une grande et pour trouver le chemin du retour. Je dois être en mesure de revenir. Je dois revenir.
En d’autres mots, avec l’art, je suis prédisposé à ne rien connaître à l’avance, à ne rien vouloir contrôler, à n’avoir aucune attente tant pour le résultat final que pour tout le processus (l’ici et maintenant de la création et non le rituel de départ) de création. Il me faut alors laisser le corps et la curiosité agir de leur plein grès et me placer au service de l’instant créatif, pour être captivée par le moment, pour le vivre pleinement, juste pour voir ce que ça pourrait donner. Je suis à cet instant, totalement dépouillée de tout discours préétablit ou personnel, déliée de toutes émotions liées au quotidien, dépourvue de tout égo.
Mais je reviens de ce périple, car, je le répète, il faut revenir. Je questionne alors le résultat, il n’existe plus en moi et il n’existera plus jamais en moi, il est devenu objet. Je le regarde, le contemple, le questionne, je tente d’expliquer l’inexplicable. Je parle avec des mots que je connais. Je propose des idées qui me traverses, teintées d’émotions, de souvenirs, d’une histoire, d’une présence physique réelle. Avant de me jeter à nouveau dans la gueule ouverte de la belle bête sauvage de la création, je me retrouve pour faire le point, pour aiguiser mes armes, pour voir ce que je deviens, pour comprendre un peu mieux le monde qui m’habite et par le fait même celui que j’habite.
SAUVAGE, comme dans nature, pureté, grandeur, perte de cadre, essence, désir, amour.
Il faut un mixte serré et constant entre le geste primitif, le moment créatif et le discours. Ils se suivent, s’animent, se nourrissent l’un de l’autre. Ils se tracent et vivent les uns pour les autres, comme une communauté. Ensemble ils font l’amour, ils font la révolution.
Je suis donc passé du désir d’exprimer à l’abstrait des émotions véhiculées par l’automne, à me laisser porter par l’art.
Les corps-lieux. J’ai donné lieux (panneaux de bois) à ces espaces-fragments de mon corps intérieur et de tout ce qui s’y trame. Les tableaux semblent vivants de par ma manière de les aborder. Ils continuent de bouger, de rire, de crier, de chanter, de danser, de jouer. Ils ne sont pas immobiles ou muets, ils s’expriment, ils continuent d’être habités dans l’œil de celui qui les regarde.
Réflexions tirées d'une lettre à un ami - j'y expose des questionnements que j'explore dans mon écriture romanesque - janvier 2017
<<J’ai besoin de revivre ma vie dans le rêve, le rêve est ma vraie vie. >>
<< […] je sais bien que les êtres humains attribuent à un objet, ou à une personne, la responsabilité d’être l’obstacle, alors que l’obstacle est en soi-même. >>
<<Je veux être un écrivain qui rappelle aux autres que ces moments existent; je veux prouver qu’il existe un espace infini, une signification infinie, une dimension infinie. >>
<<Vous vivez ainsi, à l’abri, dans un monde délicat, et vous croyez vivre. Vous lisez alors un livre ou bien vous faites un voyage, ou bien vous parlez avec Richard, et vous vous apercevez que vous ne vivez pas, que vous hibernez. Les symptômes de l’hibernation se reconnaissent aisément : tout d’abord l’agitation. Le deuxième symptôme (lorsque l’hibernation devient dangereuse et pourrait aboutir à la mort) : absence de plaisir. C’est tout. Elle apparaît comme une maladie inoffensive. Monotonie. Ennui. Mort. Des millions vivent ainsi (ou meurent ainsi) à leur insu. Ils travaillent dans des bureaux. Ils conduisent une voiture. Ils pique-niquent en famille. Ils élèvent des enfants. Il se produit alors un traitement de choc, une personne, un livre, une chanson, et cela les éveille et les sauve de la mort. >>
Anaïs Nin – Journal 1931-1934
Je vis autrement en moi-même et avec les autres, j’habite une autre réalité, quelle qu’elle soit. Le temps me paraît insaisissable, une fois de plus, déferlant sur mes silences, mon désir d’écrire, d’exister.
Quel jour sommes-nous? Mercredi ? Mardi ? Je ne sais plus. La vie domestique me donne des vertiges, je me liquéfie (peut-on soi-même se liquéfier ou être liquéfier par quelque chose d’extérieur, sans contour direct ?) et j’attends que tout se replace, c’est ma manière de croire à la magie. C’est peut-être parce qu’on m’a trop obligé au silence du corps et de l’esprit au cours de ma vie, je ne sais pas habiter ma voix, les lieux, mon corps confortablement.
Je me suis réveillée ce matin parce que ma bouche ne laissait plus sortir un son et que j’avais grande difficulté à respirer. J’étais, en rêve, face à des gens qui me décriaient et m’inventaient une personnalité monstrueuse. Je n’avais aucun issu, aussi je restais paralysée, sans possibilité de les faire taire, de me défendre, d’être entendue. Impuissante de tout mon être. M’habite une colère si grande qui parfois tente de s’affranchir. J’ai en moi des étendues, des paysages, des versions de moi et des pans de ma personnalité qui restent muets ou tentent d’être vus, entendus. Se meuvent en moi d’interminables explosions qui ne servent à rien d’autre qu’à se butter aux murs blancs placides des gens sans nuance. Je me taie souvent parce que je suis habituée à n’être entendue que par moi.
Si tu avais vu ces vagues, cette mer que j’ai parcourue trop brièvement du regard, cette luminosité changeante, ahurissante, spectaculaire, (tous les mots sont trop faibles pour décrire ce que j’ai vu). Cette puissance (encore et encore et encore trop faible). Le paysage, la nature n’a aucune limite. Personne pour l’arrêter. Oui, elle se fait déraciner, s’essouffle parfois, elle se brise, se détourne, mais elle reste la plus forte, ébranlable, mais elle revient. Comment oser croire qu’elle pliera sous nos mains à force de l’écraser ? Jamais. Ça reste du domaine de l’illusion.
Le dixième d’une vague me traîne complètement morte sur les roches.
Le quotidien m’inspire, mais lorsqu’il s’ouvre sur le merveilleux, mélancolique, euphorique. J’ai besoin de me mesurer à la démesure, à plus fort que moi pour mieux définir mes contours. C’est peut-être pourquoi je cherche sans cesse à être déboussolée. Si en moi vivent plusieurs femmes, à l’extérieur de moi c’est peut-être tout aussi vrai.
Les gens sont tous au moins double. Ces gens qui tentent de sur-vivre dans le monde. Ils se masquent. Moi, je ne me masque pas. Enfin si, mais je me bats contre ce masque, ces masques, nous nous battons tous contre nous-mêmes. Nous face à nous. Nous face aux autres. Seulement, peut-être suis-je de celles qui portent attention à ce double discours (extérieur, intérieur) qui s’entrechoque tout à la fois. Je tente par tous mes moyens de m’entendre. Je me retrouve si souvent immobile, mourante. D’autres fois, contemplative, amoureuse. Et encore folle et capable de tout, du moindre et de grandeur. De tout. Je suis multiple et je déborde. Les vagues se déversent en-dehors de moi lorsque je ne puis plus les contenir.
Les repères sont comme les bordures d’une piscine, ils sont là seulement pour me permettre de reprendre de l’élan pour repartir vers l’autre bord, celui que je retrouverais changé, à nouveau inconnu, nouveau. La mer n’a pas les mêmes frontières que la piscine, elle les casse ses frontières, les mangent à pleine bouche, les recraches dans tous les sens. Elle s’ébroue, s’enrage. Se donne en spectacle et nous accourons pour l’acclamer, l’admirer, la tester, l’affronter, la désirer. On aime cette mer qui se déchaîne et on la déteste tout à la fois de nous remettre encore au visage cette petitesse que nous tâchons tellement de fuir par toutes nos dérives.
On admire les gens qui se brisent sur les frontières.
Parfois, j’aimerais vivre éternellement. Pour toucher à chaque nuance de cet émerveillement. D’autres fois, et ce n’est pas si loin comme état contraire, je pourrais terminer ici par trop grande fatigue. Je suis fragile et forte tout à la fois, cassable et increvable à la même capacité, à la même sensibilité.
Je me sens très petite, minuscule et immense. La petitesse est ma réalité humaine, belle et franche, imparfaite et bousculée sans cesse.
Ma grandeur est poésie, lumière, elle est hurlante et magnifiée à sa pleine capacité.
J’honore cette lune de neige, de loup, comme le soleil imparfait sous cette brume de janvier. Je n’ai toujours pas de mot pour décrire ce que j’ai vu avec mes yeux de femme. Mais tout vibre en moi, tournoi à une vitesse folle dans ma poitrine. Et pourtant, je me retrouve comme cette enfant que je suis redevenue quelques heures plus-tôt, petite et frêle sous les couvertures, dans ce lit solitaire, dans ma chambre de glace, prise dans le silence ancien et la peur d’ouvrir la bouche par crainte de tout casser parce que je me savais sans autre pouvoir que celui de pouvoir réchauffer mon corps avec mon propre corps.
Et je suis sortie sous le bruit qui revenait régner, j’ai cuisiné une soupe chaude et j’attends maintenant, j’attends. Je ne sais pas ce que j’attends, ni si j’attends après quelqu’un ou quelque chose, mais je le fais par habitude. Ma poésie est là, mais elle ne sait pas vivre parfois, la rudesse du monde l’intimide.
<<J’ai besoin de revivre ma vie dans le rêve, le rêve est ma vraie vie. >>
<< […] je sais bien que les êtres humains attribuent à un objet, ou à une personne, la responsabilité d’être l’obstacle, alors que l’obstacle est en soi-même. >>
<<Je veux être un écrivain qui rappelle aux autres que ces moments existent; je veux prouver qu’il existe un espace infini, une signification infinie, une dimension infinie. >>
<<Vous vivez ainsi, à l’abri, dans un monde délicat, et vous croyez vivre. Vous lisez alors un livre ou bien vous faites un voyage, ou bien vous parlez avec Richard, et vous vous apercevez que vous ne vivez pas, que vous hibernez. Les symptômes de l’hibernation se reconnaissent aisément : tout d’abord l’agitation. Le deuxième symptôme (lorsque l’hibernation devient dangereuse et pourrait aboutir à la mort) : absence de plaisir. C’est tout. Elle apparaît comme une maladie inoffensive. Monotonie. Ennui. Mort. Des millions vivent ainsi (ou meurent ainsi) à leur insu. Ils travaillent dans des bureaux. Ils conduisent une voiture. Ils pique-niquent en famille. Ils élèvent des enfants. Il se produit alors un traitement de choc, une personne, un livre, une chanson, et cela les éveille et les sauve de la mort. >>
Anaïs Nin – Journal 1931-1934
Je vis autrement en moi-même et avec les autres, j’habite une autre réalité, quelle qu’elle soit. Le temps me paraît insaisissable, une fois de plus, déferlant sur mes silences, mon désir d’écrire, d’exister.
Quel jour sommes-nous? Mercredi ? Mardi ? Je ne sais plus. La vie domestique me donne des vertiges, je me liquéfie (peut-on soi-même se liquéfier ou être liquéfier par quelque chose d’extérieur, sans contour direct ?) et j’attends que tout se replace, c’est ma manière de croire à la magie. C’est peut-être parce qu’on m’a trop obligé au silence du corps et de l’esprit au cours de ma vie, je ne sais pas habiter ma voix, les lieux, mon corps confortablement.
Je me suis réveillée ce matin parce que ma bouche ne laissait plus sortir un son et que j’avais grande difficulté à respirer. J’étais, en rêve, face à des gens qui me décriaient et m’inventaient une personnalité monstrueuse. Je n’avais aucun issu, aussi je restais paralysée, sans possibilité de les faire taire, de me défendre, d’être entendue. Impuissante de tout mon être. M’habite une colère si grande qui parfois tente de s’affranchir. J’ai en moi des étendues, des paysages, des versions de moi et des pans de ma personnalité qui restent muets ou tentent d’être vus, entendus. Se meuvent en moi d’interminables explosions qui ne servent à rien d’autre qu’à se butter aux murs blancs placides des gens sans nuance. Je me taie souvent parce que je suis habituée à n’être entendue que par moi.
Si tu avais vu ces vagues, cette mer que j’ai parcourue trop brièvement du regard, cette luminosité changeante, ahurissante, spectaculaire, (tous les mots sont trop faibles pour décrire ce que j’ai vu). Cette puissance (encore et encore et encore trop faible). Le paysage, la nature n’a aucune limite. Personne pour l’arrêter. Oui, elle se fait déraciner, s’essouffle parfois, elle se brise, se détourne, mais elle reste la plus forte, ébranlable, mais elle revient. Comment oser croire qu’elle pliera sous nos mains à force de l’écraser ? Jamais. Ça reste du domaine de l’illusion.
Le dixième d’une vague me traîne complètement morte sur les roches.
Le quotidien m’inspire, mais lorsqu’il s’ouvre sur le merveilleux, mélancolique, euphorique. J’ai besoin de me mesurer à la démesure, à plus fort que moi pour mieux définir mes contours. C’est peut-être pourquoi je cherche sans cesse à être déboussolée. Si en moi vivent plusieurs femmes, à l’extérieur de moi c’est peut-être tout aussi vrai.
Les gens sont tous au moins double. Ces gens qui tentent de sur-vivre dans le monde. Ils se masquent. Moi, je ne me masque pas. Enfin si, mais je me bats contre ce masque, ces masques, nous nous battons tous contre nous-mêmes. Nous face à nous. Nous face aux autres. Seulement, peut-être suis-je de celles qui portent attention à ce double discours (extérieur, intérieur) qui s’entrechoque tout à la fois. Je tente par tous mes moyens de m’entendre. Je me retrouve si souvent immobile, mourante. D’autres fois, contemplative, amoureuse. Et encore folle et capable de tout, du moindre et de grandeur. De tout. Je suis multiple et je déborde. Les vagues se déversent en-dehors de moi lorsque je ne puis plus les contenir.
Les repères sont comme les bordures d’une piscine, ils sont là seulement pour me permettre de reprendre de l’élan pour repartir vers l’autre bord, celui que je retrouverais changé, à nouveau inconnu, nouveau. La mer n’a pas les mêmes frontières que la piscine, elle les casse ses frontières, les mangent à pleine bouche, les recraches dans tous les sens. Elle s’ébroue, s’enrage. Se donne en spectacle et nous accourons pour l’acclamer, l’admirer, la tester, l’affronter, la désirer. On aime cette mer qui se déchaîne et on la déteste tout à la fois de nous remettre encore au visage cette petitesse que nous tâchons tellement de fuir par toutes nos dérives.
On admire les gens qui se brisent sur les frontières.
Parfois, j’aimerais vivre éternellement. Pour toucher à chaque nuance de cet émerveillement. D’autres fois, et ce n’est pas si loin comme état contraire, je pourrais terminer ici par trop grande fatigue. Je suis fragile et forte tout à la fois, cassable et increvable à la même capacité, à la même sensibilité.
Je me sens très petite, minuscule et immense. La petitesse est ma réalité humaine, belle et franche, imparfaite et bousculée sans cesse.
Ma grandeur est poésie, lumière, elle est hurlante et magnifiée à sa pleine capacité.
J’honore cette lune de neige, de loup, comme le soleil imparfait sous cette brume de janvier. Je n’ai toujours pas de mot pour décrire ce que j’ai vu avec mes yeux de femme. Mais tout vibre en moi, tournoi à une vitesse folle dans ma poitrine. Et pourtant, je me retrouve comme cette enfant que je suis redevenue quelques heures plus-tôt, petite et frêle sous les couvertures, dans ce lit solitaire, dans ma chambre de glace, prise dans le silence ancien et la peur d’ouvrir la bouche par crainte de tout casser parce que je me savais sans autre pouvoir que celui de pouvoir réchauffer mon corps avec mon propre corps.
Et je suis sortie sous le bruit qui revenait régner, j’ai cuisiné une soupe chaude et j’attends maintenant, j’attends. Je ne sais pas ce que j’attends, ni si j’attends après quelqu’un ou quelque chose, mais je le fais par habitude. Ma poésie est là, mais elle ne sait pas vivre parfois, la rudesse du monde l’intimide.
Réflexions en lien avec l'exposition Territoires contours et la capsule de La fabrique culturelle - décembre 2016
<<Chacun de nous a son propre alcool. Je trouve assez d’alcool dans le fait d’exister. Ivre de me sentir, j’erre et marche bien droit. Si c’est l’heure, je reviens à mon bureau, comme tout le monde. Si ce n’est pas l’heure encore, je vais jusqu’au fleuve pour regarder le fleuve, comme tout le monde. Je suis pareil. Et derrière tout cela, il y a mon ciel, où je me constelle en cachette et où je possède mon infini. >> Fernando Pessoa
Je crois que le terme <<narration>> scie bien à ce que je <<crois>> être. Que ce soit en lien avec l’époque dans laquelle je vis ou en lien avec mon besoin de documenter par écrit, par la photo ou par la peinture. Ce que je fais et ce que font les autres artistes (et écrivains) qui, tout comme moi, ressentent le besoin de noter, de conserver des traces, de documenter pour avoir une trace, une preuve de leur passage dans le temps, de leur existence, une sorte de trace miroir, trace reflet, une ombre qui suit la vie, le corps de prés, mais en restant juste un peu à côté, quelque peu décalé, coloré différemment, en négatif, un fragment.
Chaque humain est une fiction (L’espèce fabulatrice de Nancy Huston) il est donc nécessaire pour certains, davantage que pour la majorité des gens (les artistes, entre autres, puisqu’ils sembleraient qu’ils aient, pour plusieurs, le souci de conserver des pans de l’histoire pour créer l’Histoire, c’est-à-dire, l’héritage pour les autres à venir (parfois c’est de manière très égoïste, par peur de disparaître complètement et d’être oublié, d’autres fois c’est pour donner aux autres la chance de se dépasser), d’avoir une valise remplis de traces (souvenirs (source intarissable d’inspirations (tout comme l’enfance)).
<<Nous sommes incapables, nous autres humains, de ne pas chercher du Sens. C’est plus fort que nous. >> Nancy Huston
Qui a-t-il de différent entre moi qui documente ma vie pour ensuite utilisé la matière pour mon laboratoire artistique et transformer quelques morceaux de cette matière en fragments littéraires ou visuels et le fait de partager sa vie sur les fils des réseaux sociaux ?
C’est le regard, le positionnement qui devient différent.
(Le rap, Maude Veilleux, Nelly Arcand, Anaïs Nin, Jean Leloup… ) Dire ce que l’on ne pourrait dire autrement, dans un rôle que l’on joue pour pouvoir dire, dénoncer, affirmer. Une sorte de masque ou une sorte de mise à nue.
Et l’autofiction dans tout cela, en littérature du moins, pourquoi est-ce si tabou comme terme ? Je pense que toute création est préalablement inspirée de son créateur… La fiction en dit même parfois davantage que l’autofiction sur son auteur.
Je cherche l’intégrité. La graine qui germe. Le creux de mon être, ce qu’il y a de plus vrai, je ne veux pas l’image de base, ma peau, je veux aller plus loin, percer le mystère de mon existence en fouillant partout où je peux, dans mon rapport aux autres, les autres, ces gens que je croise ou qui font partie de ma vie, les animaux sauvages ou domestiques, les paysages avec leur atmosphère si plein de force, tous les éléments de la nature, etc. etc. tout ce qui entre en relation avec mon corps, oui, mais avec tout ce que je suis, tout mon univers, mon monde, ma complexité.
<<Ces êtres de dialogue, de partage et de mouvance que nous sommes, vivent de la magie des rencontres, meurent de leur absence. Chaque rencontre nous réinvente illico – que ce soit celle d’un paysage, d’un objet d’art, d’un arbre, d’un chat ou d’un enfant, d’un ami ou d’un inconnu. Un être neuf surgit alors de moi et laisse derrière lui celui qu’un instant plus tôt je croyais être. La rencontre fait résonner en moi des modes et des tons que je n’avais pas perçus jusqu’alors. C’est par la rencontre que dans cet amas diffus, cette nébuleuse que par commodité j’appelle à moi, s’éclairent et se regroupent les constellations. […] Par un mystère, impossible à élucider, ce sont précisément toutes les rencontres d’une vie qui nous font peu à peu advenir. Chaque rencontre me livre d’étrange manière, tantôt une lettre, tantôt un mot, tantôt une virgule, un blanc qui, peu à peu, mis bout à bout vont composer le libellé d’un message à moi seul adressé. […] Dans chaque rencontre se révèle un aspect de mon être, un visage secret nage à ma rencontre dans l’eau du miroir. Les rencontres me remettent en mémoire une mobilité d’être, une tonalité oubliée. Elles me cherchent, me trouvent sous les masques. Souvent elles me délivrent. >> Christiane Singer
L’artiste veut comprendre tous les pourquoi du comment. Il se positionne dans le monde dans lequel il vit. Il veut tout saisir, tout comprendre de ce qu’il ressent, de ce qu’il vit. Bien entendu, c’est différent pour chaque écrivain, pour chaque artiste.
J’avais 5 ans et je dessinais déjà mon quotidien. Bien des enfants vivent dans leur imaginaire, ils s’inventent des mondes plus grands que nature où vivent des bêtes monstrueuses et des chevaliers ou des princesses qui doivent à leur manière affronter ces bêtes. Moi, je cherchais déjà à comprendre ce qui s’agitait autour et en moi, dans mon rapport aux autres humains qui m’entouraient et aux animaux, à la nature, à mon monde immédiat. Je voulais savoir qui j’étais par rapport à ces autres que j’observais. Et je prenais des notes, je faisais des listes. Je capturais des expressions ici et là et je les inscrivais (quand j’ai appris à écrire (avant je dessinais)) dans des carnets.
Mon carnet est rapidement devenu mon plus grand ami et il l’est encore. Il est une extension de moi, un endroit où je me confie, où je démêle les nœuds et où je suis entière (enfin autant que je le peux, puisque toute trace n’est jamais l’entièreté de l’être, je suis si vaste, tout un monde, tout un territoire en continuel changement, une île à bâtir…).
À l’adolescence, j’ai découvert le journal d’Anne Frank. Un univers entier m’est tombé dessus; celui de la deuxième guerre mondiale. Un pan de notre, de mon histoire. Je suis une histoire, je me construis sur une histoire qui était déjà là avant moi et qui se poursuivra après moi. C’est mon rôle de marquer mon passage pour les autres à venir. Peu importe que je vive dans une période déterminante ou non. Enfin, je crois que toutes les époques sont déterminantes à leur manière. Ici, je marche dans celle où les gens vivent très fortement des fictions qu’ils créent d’eux-mêmes. Moi je cherche à en créer une, le plus près possible de ce que je suis fondamentalement. L’intégrité. L’authenticité. Dans ce monde où la mort est tabou, le mal de vivre, les émotions de toutes sortes. Moi je cherche à les accueillir, à les vivre et à les laisser prendre de l’expansion par et pour la création.
<<Anne Frank a tenu son journal du 12 juin 1942 au 1er août 1944. Jusqu’au printemps de 1944, elle écrivit ses lettres pour elle seule, jusqu’au moment où elle entendit, à la radio de Londres, le ministre de l’Éducation du gouvernement néerlandais en exil dire qu’après la guerre il faudrait rassembler et publier tout ce qui avait trait aux souffrances du peuple néerlandais pendant l’occupation allemande. Il citait à titre d’exemple, entre autres, les journaux intimes. Frappée par ce discours, Anne Frank décida de publier un livre après la guerre, son journal devant servir de base. >>
En 2009, j’ai découvert la poétesse américaine Sylvia Plath par ses journaux 1950-1962. Ses mots m’ont tellement bousculée à l’époque. Plath aborde la mort sans aucun tabou. Plath écrit pour ne pas mourir. J’ai relu ses journaux en 2012 et je m’y réfère souvent, lorsque je sens que je reviens trop en surface dans ma manière de voir la vie (je suis capable de vivre joyeusement, ce n’est pas ce que j’entends ici, c’est plutôt de parvenir à atteindre ma profondeur, ma voix artistique). Pour Plath, comme pour plusieurs autres, le journal devient l’endroit où réfléchir le monde, mais l’art aussi et il devient source inépuisable de matériau pour la création. Les idées y germent, les mots qui veulent dire plus qu’une sensation, l’élaboration de la figure, de l’être artiste s’y bâtie.
<<Je suis ce que je ressens, pense et fais. Je cherche à exprimer mon être aussi pleinement que possible, parce que j’ai pris, je ne sais où, l’idée que je pourrais ainsi justifier mon existence.
>>Sylvia Plath
Récemment, j’ai lu le journal de Marie Uguay, poète québécoise décédée trop tôt d’un cancer, elle n’avait que 26 ans. Pour Uguay, son journal c’est un objet qu’elle crée, un corps, autre que son corps, son journal c’est elle, une forme d’elle, une femme fragmentée avec la pulsion vitale de dépasser la mort.
<<Je sais que j’écris pour ne pas tout perdre, je suis descendue au bout de moi, la nuit n’en finit plus, je vais en me cognant aux êtres et aux choses. Fatiguée, terriblement éreintée par cette nuit sans sommeil, mais avec des syncopes de rêves faibles et névrotiques qui tentent de remonter vers le jour. >> Marie Uguay
Il faut dire qu’il n’est pas rare que les rêves soient relatés dans les journaux intimes (je parle pour moi et pour les quelques journaux que j’ai eu la chance de parcourir jusqu’ici). Les rêves, ces films de l’inconscients qui sont faits de symboles qu’il faut absolument décoder pour comprendre, pour percer encore mieux les mystères de cette civilisation avec son langage qui nous font, qui font notre monde, celui que l’on porte de notre naissance à notre mort.
Il n’y a rien de fou dans le fait d’être humain et depuis la nuit des temps, l’humain cherche à comprendre comment il est arrivé là et ce qu’il fait là, en sachant très bien qu’il devra un jour ou l’autre céder sa place à l’autre. L’artiste lui, travaille peut-être jour et nuit à trouver sa propre réponse, avec sa voix, sa langue et ses couleurs, pour que d’autres ensuite, puissent s’y retrouver.
<<N’avoir plus que cette ultime certitude, ce vers quoi on avance à longues enjambées : soi. Irrémédiablement ce langage qui nous colle à la peau. Dont on part à la découverte. Qui grandit et qui éclate ses propres limites. >> Marie Uguay
S’écrire, se peindre, se photographier pour devenir acteur et voyeur. Pour devenir un humain parmi les autres humains. Pour définir ses propres contours, son univers.
Je crois qu’il y a un lien avec la curiosité. La curiosité étant l’un des trains de caractères de l’humain présent dès sa naissance, pour apprendre à devenir. J’ai la curiosité des autres humains, j’ai la curiosité de les découvrir en profondeur en lisant leurs secrets (les journaux intimes). On laisse des traces pour susciter la curiosité, aider à la continuité.
Un héritage oui.
Je pourrais pousser mes réflexions dans tous les sens… Mais justement, je crée pour répondre à tout cela autrement ;)
Si nous jouons sur le côté <<fiction>> de la chose, je suis une fiction, un personnage et par mes créations je crée une fiction à partir de ce que je crois être ma réalité. (
Le matin, je me réveille avec la lumière du soleil. Je prépare du café et j’écris. Je note mes rêves et mes pensées. Je prépare ce qui s’en vient, tout en réfléchissant sur ce qui a été et sur ce qui est. J’entends la mer, je regarde dehors, à l’extérieur il n’y a que le silence, le paysage, l’espace et l’atmosphère du jour, parfois mélancolique, nostalgique, euphorique ou ordinaire. Durant le jour, je relis mes journaux pour trouver des pistes d’écriture, je lis des romans, je visionne et revisionne des films qui m’ont beaucoup marqués (films sur la vie de différents artistes (Sylvia Plath, Frida Kahlo, Camille Claudel, Pollock, Modigliani, etc. etc..) entre autres). Je sors parfois me promener, le plus souvent sur le bord de la mer et je ramasse des pierres que je rapporte chez moi. Je regarde le mouvement des vagues, les couleurs et j’entre dans l’introspection, le paysage devient le reflet de mes émotions, il me fait vivre diverses sensations qui font monter en moi le besoin de les partager par la création. Des mots, des images, des voix narratives ou des images, des trames me montent à la tête. Parfois je prends quelques notes, mais j’essaie de puiser l’énergie de l’environnement sans le briser de tout ce qui est le reste de la vie quotidienne. Je ne fais plus qu’une avec le vaste du monde, je suis une pierre, une vague, une montagne. Parfois je dors un peu pour retourner vers l’inconscience, puis lorsque le soir s’approche et que monde de l’ombre s’avance sur tous les murs, je deviens le moteur de ma création. J’allume des bougies, de l’encens, j’écoute de la musique très forte dans mes oreilles. Je crée parfois jusqu’à très tard dans la nuit. Parce que la nuit étant ce qu’elle est, elle permet une proximité avec soi que le jour ne donne pas. Je peins ou j’écris alors jusqu’à minuit ou même jusqu’à l’aube.
Mes tableaux, mes photographies (qu’elles soient documentaires ou plus artistiques ou même les deux) et mes écrits (poésie, nouvelle, roman) parlent une même langue, les mêmes symboles mais dans des langages parfois différents. Ils se nourrissent entre eux.
<<Chacun de nous a son propre alcool. Je trouve assez d’alcool dans le fait d’exister. Ivre de me sentir, j’erre et marche bien droit. Si c’est l’heure, je reviens à mon bureau, comme tout le monde. Si ce n’est pas l’heure encore, je vais jusqu’au fleuve pour regarder le fleuve, comme tout le monde. Je suis pareil. Et derrière tout cela, il y a mon ciel, où je me constelle en cachette et où je possède mon infini. >> Fernando Pessoa
Je crois que le terme <<narration>> scie bien à ce que je <<crois>> être. Que ce soit en lien avec l’époque dans laquelle je vis ou en lien avec mon besoin de documenter par écrit, par la photo ou par la peinture. Ce que je fais et ce que font les autres artistes (et écrivains) qui, tout comme moi, ressentent le besoin de noter, de conserver des traces, de documenter pour avoir une trace, une preuve de leur passage dans le temps, de leur existence, une sorte de trace miroir, trace reflet, une ombre qui suit la vie, le corps de prés, mais en restant juste un peu à côté, quelque peu décalé, coloré différemment, en négatif, un fragment.
Chaque humain est une fiction (L’espèce fabulatrice de Nancy Huston) il est donc nécessaire pour certains, davantage que pour la majorité des gens (les artistes, entre autres, puisqu’ils sembleraient qu’ils aient, pour plusieurs, le souci de conserver des pans de l’histoire pour créer l’Histoire, c’est-à-dire, l’héritage pour les autres à venir (parfois c’est de manière très égoïste, par peur de disparaître complètement et d’être oublié, d’autres fois c’est pour donner aux autres la chance de se dépasser), d’avoir une valise remplis de traces (souvenirs (source intarissable d’inspirations (tout comme l’enfance)).
<<Nous sommes incapables, nous autres humains, de ne pas chercher du Sens. C’est plus fort que nous. >> Nancy Huston
Qui a-t-il de différent entre moi qui documente ma vie pour ensuite utilisé la matière pour mon laboratoire artistique et transformer quelques morceaux de cette matière en fragments littéraires ou visuels et le fait de partager sa vie sur les fils des réseaux sociaux ?
C’est le regard, le positionnement qui devient différent.
(Le rap, Maude Veilleux, Nelly Arcand, Anaïs Nin, Jean Leloup… ) Dire ce que l’on ne pourrait dire autrement, dans un rôle que l’on joue pour pouvoir dire, dénoncer, affirmer. Une sorte de masque ou une sorte de mise à nue.
Et l’autofiction dans tout cela, en littérature du moins, pourquoi est-ce si tabou comme terme ? Je pense que toute création est préalablement inspirée de son créateur… La fiction en dit même parfois davantage que l’autofiction sur son auteur.
Je cherche l’intégrité. La graine qui germe. Le creux de mon être, ce qu’il y a de plus vrai, je ne veux pas l’image de base, ma peau, je veux aller plus loin, percer le mystère de mon existence en fouillant partout où je peux, dans mon rapport aux autres, les autres, ces gens que je croise ou qui font partie de ma vie, les animaux sauvages ou domestiques, les paysages avec leur atmosphère si plein de force, tous les éléments de la nature, etc. etc. tout ce qui entre en relation avec mon corps, oui, mais avec tout ce que je suis, tout mon univers, mon monde, ma complexité.
<<Ces êtres de dialogue, de partage et de mouvance que nous sommes, vivent de la magie des rencontres, meurent de leur absence. Chaque rencontre nous réinvente illico – que ce soit celle d’un paysage, d’un objet d’art, d’un arbre, d’un chat ou d’un enfant, d’un ami ou d’un inconnu. Un être neuf surgit alors de moi et laisse derrière lui celui qu’un instant plus tôt je croyais être. La rencontre fait résonner en moi des modes et des tons que je n’avais pas perçus jusqu’alors. C’est par la rencontre que dans cet amas diffus, cette nébuleuse que par commodité j’appelle à moi, s’éclairent et se regroupent les constellations. […] Par un mystère, impossible à élucider, ce sont précisément toutes les rencontres d’une vie qui nous font peu à peu advenir. Chaque rencontre me livre d’étrange manière, tantôt une lettre, tantôt un mot, tantôt une virgule, un blanc qui, peu à peu, mis bout à bout vont composer le libellé d’un message à moi seul adressé. […] Dans chaque rencontre se révèle un aspect de mon être, un visage secret nage à ma rencontre dans l’eau du miroir. Les rencontres me remettent en mémoire une mobilité d’être, une tonalité oubliée. Elles me cherchent, me trouvent sous les masques. Souvent elles me délivrent. >> Christiane Singer
L’artiste veut comprendre tous les pourquoi du comment. Il se positionne dans le monde dans lequel il vit. Il veut tout saisir, tout comprendre de ce qu’il ressent, de ce qu’il vit. Bien entendu, c’est différent pour chaque écrivain, pour chaque artiste.
J’avais 5 ans et je dessinais déjà mon quotidien. Bien des enfants vivent dans leur imaginaire, ils s’inventent des mondes plus grands que nature où vivent des bêtes monstrueuses et des chevaliers ou des princesses qui doivent à leur manière affronter ces bêtes. Moi, je cherchais déjà à comprendre ce qui s’agitait autour et en moi, dans mon rapport aux autres humains qui m’entouraient et aux animaux, à la nature, à mon monde immédiat. Je voulais savoir qui j’étais par rapport à ces autres que j’observais. Et je prenais des notes, je faisais des listes. Je capturais des expressions ici et là et je les inscrivais (quand j’ai appris à écrire (avant je dessinais)) dans des carnets.
Mon carnet est rapidement devenu mon plus grand ami et il l’est encore. Il est une extension de moi, un endroit où je me confie, où je démêle les nœuds et où je suis entière (enfin autant que je le peux, puisque toute trace n’est jamais l’entièreté de l’être, je suis si vaste, tout un monde, tout un territoire en continuel changement, une île à bâtir…).
À l’adolescence, j’ai découvert le journal d’Anne Frank. Un univers entier m’est tombé dessus; celui de la deuxième guerre mondiale. Un pan de notre, de mon histoire. Je suis une histoire, je me construis sur une histoire qui était déjà là avant moi et qui se poursuivra après moi. C’est mon rôle de marquer mon passage pour les autres à venir. Peu importe que je vive dans une période déterminante ou non. Enfin, je crois que toutes les époques sont déterminantes à leur manière. Ici, je marche dans celle où les gens vivent très fortement des fictions qu’ils créent d’eux-mêmes. Moi je cherche à en créer une, le plus près possible de ce que je suis fondamentalement. L’intégrité. L’authenticité. Dans ce monde où la mort est tabou, le mal de vivre, les émotions de toutes sortes. Moi je cherche à les accueillir, à les vivre et à les laisser prendre de l’expansion par et pour la création.
<<Anne Frank a tenu son journal du 12 juin 1942 au 1er août 1944. Jusqu’au printemps de 1944, elle écrivit ses lettres pour elle seule, jusqu’au moment où elle entendit, à la radio de Londres, le ministre de l’Éducation du gouvernement néerlandais en exil dire qu’après la guerre il faudrait rassembler et publier tout ce qui avait trait aux souffrances du peuple néerlandais pendant l’occupation allemande. Il citait à titre d’exemple, entre autres, les journaux intimes. Frappée par ce discours, Anne Frank décida de publier un livre après la guerre, son journal devant servir de base. >>
En 2009, j’ai découvert la poétesse américaine Sylvia Plath par ses journaux 1950-1962. Ses mots m’ont tellement bousculée à l’époque. Plath aborde la mort sans aucun tabou. Plath écrit pour ne pas mourir. J’ai relu ses journaux en 2012 et je m’y réfère souvent, lorsque je sens que je reviens trop en surface dans ma manière de voir la vie (je suis capable de vivre joyeusement, ce n’est pas ce que j’entends ici, c’est plutôt de parvenir à atteindre ma profondeur, ma voix artistique). Pour Plath, comme pour plusieurs autres, le journal devient l’endroit où réfléchir le monde, mais l’art aussi et il devient source inépuisable de matériau pour la création. Les idées y germent, les mots qui veulent dire plus qu’une sensation, l’élaboration de la figure, de l’être artiste s’y bâtie.
<<Je suis ce que je ressens, pense et fais. Je cherche à exprimer mon être aussi pleinement que possible, parce que j’ai pris, je ne sais où, l’idée que je pourrais ainsi justifier mon existence.
>>Sylvia Plath
Récemment, j’ai lu le journal de Marie Uguay, poète québécoise décédée trop tôt d’un cancer, elle n’avait que 26 ans. Pour Uguay, son journal c’est un objet qu’elle crée, un corps, autre que son corps, son journal c’est elle, une forme d’elle, une femme fragmentée avec la pulsion vitale de dépasser la mort.
<<Je sais que j’écris pour ne pas tout perdre, je suis descendue au bout de moi, la nuit n’en finit plus, je vais en me cognant aux êtres et aux choses. Fatiguée, terriblement éreintée par cette nuit sans sommeil, mais avec des syncopes de rêves faibles et névrotiques qui tentent de remonter vers le jour. >> Marie Uguay
Il faut dire qu’il n’est pas rare que les rêves soient relatés dans les journaux intimes (je parle pour moi et pour les quelques journaux que j’ai eu la chance de parcourir jusqu’ici). Les rêves, ces films de l’inconscients qui sont faits de symboles qu’il faut absolument décoder pour comprendre, pour percer encore mieux les mystères de cette civilisation avec son langage qui nous font, qui font notre monde, celui que l’on porte de notre naissance à notre mort.
Il n’y a rien de fou dans le fait d’être humain et depuis la nuit des temps, l’humain cherche à comprendre comment il est arrivé là et ce qu’il fait là, en sachant très bien qu’il devra un jour ou l’autre céder sa place à l’autre. L’artiste lui, travaille peut-être jour et nuit à trouver sa propre réponse, avec sa voix, sa langue et ses couleurs, pour que d’autres ensuite, puissent s’y retrouver.
<<N’avoir plus que cette ultime certitude, ce vers quoi on avance à longues enjambées : soi. Irrémédiablement ce langage qui nous colle à la peau. Dont on part à la découverte. Qui grandit et qui éclate ses propres limites. >> Marie Uguay
S’écrire, se peindre, se photographier pour devenir acteur et voyeur. Pour devenir un humain parmi les autres humains. Pour définir ses propres contours, son univers.
Je crois qu’il y a un lien avec la curiosité. La curiosité étant l’un des trains de caractères de l’humain présent dès sa naissance, pour apprendre à devenir. J’ai la curiosité des autres humains, j’ai la curiosité de les découvrir en profondeur en lisant leurs secrets (les journaux intimes). On laisse des traces pour susciter la curiosité, aider à la continuité.
Un héritage oui.
Je pourrais pousser mes réflexions dans tous les sens… Mais justement, je crée pour répondre à tout cela autrement ;)
Si nous jouons sur le côté <<fiction>> de la chose, je suis une fiction, un personnage et par mes créations je crée une fiction à partir de ce que je crois être ma réalité. (
Le matin, je me réveille avec la lumière du soleil. Je prépare du café et j’écris. Je note mes rêves et mes pensées. Je prépare ce qui s’en vient, tout en réfléchissant sur ce qui a été et sur ce qui est. J’entends la mer, je regarde dehors, à l’extérieur il n’y a que le silence, le paysage, l’espace et l’atmosphère du jour, parfois mélancolique, nostalgique, euphorique ou ordinaire. Durant le jour, je relis mes journaux pour trouver des pistes d’écriture, je lis des romans, je visionne et revisionne des films qui m’ont beaucoup marqués (films sur la vie de différents artistes (Sylvia Plath, Frida Kahlo, Camille Claudel, Pollock, Modigliani, etc. etc..) entre autres). Je sors parfois me promener, le plus souvent sur le bord de la mer et je ramasse des pierres que je rapporte chez moi. Je regarde le mouvement des vagues, les couleurs et j’entre dans l’introspection, le paysage devient le reflet de mes émotions, il me fait vivre diverses sensations qui font monter en moi le besoin de les partager par la création. Des mots, des images, des voix narratives ou des images, des trames me montent à la tête. Parfois je prends quelques notes, mais j’essaie de puiser l’énergie de l’environnement sans le briser de tout ce qui est le reste de la vie quotidienne. Je ne fais plus qu’une avec le vaste du monde, je suis une pierre, une vague, une montagne. Parfois je dors un peu pour retourner vers l’inconscience, puis lorsque le soir s’approche et que monde de l’ombre s’avance sur tous les murs, je deviens le moteur de ma création. J’allume des bougies, de l’encens, j’écoute de la musique très forte dans mes oreilles. Je crée parfois jusqu’à très tard dans la nuit. Parce que la nuit étant ce qu’elle est, elle permet une proximité avec soi que le jour ne donne pas. Je peins ou j’écris alors jusqu’à minuit ou même jusqu’à l’aube.
Mes tableaux, mes photographies (qu’elles soient documentaires ou plus artistiques ou même les deux) et mes écrits (poésie, nouvelle, roman) parlent une même langue, les mêmes symboles mais dans des langages parfois différents. Ils se nourrissent entre eux.
Réflexions sur l'écriture - texte paru sur Le fil rouge, en deux parties - avril 2016
(https://chezlefilrouge.co/2016/05/12/lenvers-du-decor-processus-decriture-premiere-partie/)
(https://chezlefilrouge.co/2016/05/13/lenvers-du-decor-processus-decriture-deuxieme-partie/)
Processus d’écriture – l’envers du décor
Il m’est arrivé, à quelques reprises déjà, d’effleure le fait que je suis présentement, et ce depuis plusieurs mois, en plein processus d’écriture. J’ai pensé qu’il serait intéressant de vous partager l’envers du décor de l’élaboration d’un roman, à partir de mon expérience personnelle. Voici donc, en deux parties, le récit de mon voyage au cœur même de la littérature.
Tenez-vous prêtes et prêts, parce que oui, une fois de plus, je vous parlerez de Julia Cameron et de son indispensable ouvrage Libérez votre créativité. Je ne peux qu’affirmer tous les changements positifs vers une plus grande réalisation de moi qui me sont venus en traversant ces pages et je n’ai pas fini, oh non! Mais bien sûr, avant de m’élancer dans l’aventure Cameron, j’étais déjà habité par l’envie de réaliser ce rêve, c’est-à-dire l’écriture d’un roman, mais aussi celui de vivre une «vraie vie d’écrivaine».
J’ai toujours écrit pour partager et d’une certaine manière pour publier, sans que ce ne soit le centre de mon désir, mais plutôt une suite. L’art et l’écriture existent conjointement en moi, même si j’ai toujours eu une relation de co-dépendance avec l’écriture. Alors que l’art, les arts visuels, la danse, m’aident à mieux respirer, l’écriture, elle, me confronte continuellement avec la part la plus creuse de moi. Au cégep, j’ai écrit un roman. Quelques mois de travail et aucune notion. Mais tout de même, je suis fière d’être parvenue à exprimer quelque chose de vrai, à le partagé et à avoir touché quelques personnes. Ce que j’écris est aussi difficile à écrire, qu’à lire par moment. Immédiatement après, j’ai voulu recommencé. Mais beaucoup d’années se sont écoulées entre ce premier jet, je dirais, de ce qui renaît aujourd’hui. Entre temps, j’ai grandis à travers quelques nouvelles, en recherche d’une voix personnelle et d’un style à moi. Outre l’univers, l’ambiance, les personnages et mes tics symboliques, qui reviennent fréquemment encore et toujours, j’ai cherché à montrer la vie dans mes mots.
Je manquais d’assurance envers mon écriture, je me comparais, je n’osais pas suffisamment, j’avais un peu l’impression de tourner en rond, mais au plus profond de moi, je savais que je voulais entamer un projet d’écriture, un recueil de nouvelles ou un roman, je ne savais tout simplement pas comment m’y prendre, ni par où commencer. Puis est venue ma rencontre avec Julia Cameron. Dès les premières pages de Libérez votre créativité, elle nous demande d’affirmer qui nous sommes et de faire ainsi face à tous nos démons contre-productifs, contre-artistiques. J’ai affirmé que j’étais écrivaine. Comme quelques années plus tôt, j’avais affirmé être artiste. Je continue de croire que c’est une façon d’être, plutôt qu’un résultat reconnu. L’écriture vit en moi, comme un morceau de mon âme, l’art aussi. Alors en juillet 2014, j’ai commencé à écrire comme ça et à avoir l’idée d’un projet à plus long terme et complet. J’ai alors soumis mon projet d’écriture au programme Jeunes volontaires, parce que je cherchais une possibilité de me consacrer entièrement à mon écriture. Pendant une année, d’avril 2015 à mars 2016, j’ai pu bénéficier d’une subvention pour permettre l’élaboration d’un monde fictif et personnel. Cela m’a aussi permis de vivre l’expérience du camp littéraire Félix, puis de me louer une petite maison à Percé tout l’hiver, pour favoriser l’introspection nécessaire à l’écriture.
Je qualifierais à la fois de relation et de thérapie ce que je vis envers l’écriture de cet ouvrage. Comme s’il s’agissait d’une bête sauvage que je dois enjôler, j’ai dû, à travers les mois, trouver des manières de satisfaire mon roman, en lui offrant du temps, tout en me sentant libre d’aller vers lui. Parce que je suis consciente de sa force de caractère (!) lorsqu’enfin je me mets au travail. Le projet d’écriture prend alors toute la place dans mon esprit et je suis entièrement habité par l’univers qui s’ouvre ici devant et en moi.
Depuis 2011, j’inclus la «réclusion artistique» dans ma démarche visuelle et maintenant littéraire. En fait, il s’agit seulement de me couper de tout ce qui pourrait me relier au monde extérieur (heure, internet, téléphone, télévision, radio, fenêtre, gens de l’entourage) pour pouvoir me concentrer complètement et uniquement sur la création.
Je reviendrais sur le sujet un peu plus loin.
Tout en apprivoisant le roman, le projet en cours, l’histoire et l’univers en construction, j’ai dû apprendre à accepter certains pans de la vie d’artiste que je connaissais, sans les avoirs vécus avant : l’horaire de travail, les phases de création, les nombreuses incertitudes, la patience, les murs à escalader et à passer, les préjugés aussi, parce que bien sûr, ça vient irrémédiablement avec la vie d’artiste, puisque tellement incomprise. C’est en fait, tout un travail d’estime de soi que de choisir d’écrire un livre et d’avoir la chance d’être payé pour le faire.
Je crois que l’une des choses que je trouve le plus difficile, après mon rapport amour/haine avec l’omniprésence de la technologie, c’est de trouver son rythme de création, mais surtout d’accepter ce rythme. Il y a certains moments où il est impossible de se mettre au travail sans être passé par l’apprivoisement, qui consiste en fait, à remonter dans mes notes sur le projet, à relire ce que j’ai déjà écrit et à réfléchir les liens, la logique et la pertinence des symboles. Il est difficile de ne pas se comparer aux travailleurs non artistes, non autonomes, sans tomber dans la culpabilité et la comparaison, alors qu’il existe tout un monde entre les deux manières de concevoir le travail. Tout de même, je ne peux pas oublier que je travaille à la construction d’un monde, que je crée de toutes pièces des gens avec un passé, un présent et un futur et des lieux avec tout ce qui les font réellement exister sur papier. Une autre réalité. Une nouvelle réalité. Mais tout de même une réalité. L’été dernier, par exemple, j’avais prévu écrire et travailler sur mon projet, mais on m’a approché et on m’a offert un emploi de rêve que je n’ai absolument pas pu refuser. Je pensais pouvoir poursuivre l’écriture conjointement à tout le reste, mais plus les semaines passaient et plus je me rendais bien compte que c’était impossible, pour moi, de mener de front un emploi aussi varié à la galerie d’art et l’écriture d’un roman. Il m’a été atrocement difficile de me l’avouer, je m’obstinais en vain, jusqu’au jour où j’ai compris que je devais mettre mon roman de côté quelque temps. Ce qui en fait a été très bénéfique. Plus j’apprends à vivre à mon rythme et plus je crois que la vie s’accorde à mes actions. Mon roman naît de qui je suis, de comment je vis, de ce que je vois et même s’il s’agit d’une fiction, il est encore plus moi que je ne saurais jamais l’être moi-même.
Comme j’aime me le rappeler souvent, chaque jour je change, parfois de manière plus imperceptible et d’autres fois c’est plus frappant. Travailler plusieurs mois d’affiler sur un même projet, amène inévitablement une évolution de la part des deux côtés. Mon roman à évolué à mon contact, suivant les courbes de ma vie, tout comme j’ai changé à travers l’écriture et même les raisons qui m’ont poussées à l’écrire se sont consolidées à l’intérieur du processus. Je n’entrerais pas dans les détails ici, mais disons qu’à travers l’écriture se sont tissés un grand nombre de liens au bout desquels ont éclatés des ampoules qui m’ont davantage éclairées sur ma personne et sur les raisons qui me poussent à poursuivre ce projet, ma propre quête personnelle et identitaire. Bien qu’il soit plaisant, puis nécessaire d’écrire, il me fallait savoir pourquoi je le faisais, pour aller au bout de cette raison, puis évoluer et passer à une autre étape de la vie.
L’écriture avance dans les mêmes pas que la vie, seulement elle tourne autour comme un joli fantôme, une présence tourbillonnante.
J’ai toujours fait les choses un peu à ma tête, j’apprends d’une manière moins conventionnelle, je perçois la vie avec ma vision bien personnelle. Okay, tout le monde est différent, comprend et apprend de manière unique. Disons plutôt que je ne suis pas très bonne pour me perdre dans des moules. Alors même si j’ai étudié en littérature quelque temps, même si j’ai toujours écrit et même si j’ai décidé d’aborder le roman, je le fais à ma manière et comme je le sens surtout. Dans toutes circonstances de ma vie, l’émotion passe avant tout. Je suis une femme de feeling et je tends de plus en plus à développer cela dans tous les pans de ma vie. Mon rapport à l’écriture a donc toujours été plutôt intuitif, sans jamais vouloir se fondre dans les modèles ou à suivre les «façons de faire». Ça m’a pris des mois pour me détacher de toutes les influences extérieures qui, me semblait-il, me gardait toujours trop à la surface de ce que je cherchais à atteindre dans mon écriture et dans mon histoire. Je suis passé par plusieurs styles et par quelques types de narration, jusqu’à m’en détacher complètement et à tout simplement laisser parler mon univers et mon personnage principal. J’ose le dialogue d’égal à égal. J’avais débuté l’écriture dans une liberté totale où j’écrivais à la main, à la chandelle, le soir, dans un chalet, avec de la musique dans les oreilles. J’écrivais à la troisième personne du singulier et je semblais étouffer avec mon personnage, alors j’ai taché de tout changer. Je me suis mise à avoir un horaire fixe, à tout réfléchir et à travailler à l’ordinateur, dans le silence, jusqu’à ce que je n’entende plus rien. Tout avait cessé d’avancer, même mon personnage se trouvait prisonnier d’un immense labyrinthe. Un soir, j’ai allumé des chandelles, j’ai sorti mon stylo et branché des écouteurs à mes oreilles puis c’est revenu. Cette fois mon personnage parlait au «je», il voulait s’exprimer, être entendu, alors je lui ai donné parole.
Je me questionnais beaucoup par rapport à mon style d’écriture, autant sur ma façon de construire les phrases, que sur l’atmosphère très symbolique de mon écriture. Je me demandais si ça valait quelque chose, puis comme je m’étais dit que moi aussi je pouvais écrire un roman, je me suis dit que ce n’était ni plus ni moins que mon style à moi et que je n’avais qu’à le suivre. Juste pour voir !Je ne sais jamais si c’est commun ou si c’est quelque chose que je vis personnellement, je ne me pose pas tant la question et puis je me trouve bien seule avec tout cet univers qu’est la création littéraire. Il m’arrive trop peu de pouvoir en parler ou de partager. Et mon silence vient du fait que je développe tranquillement cette forme de création et l’estime grimpe doucement en parallèle. Donc, une fois de plus je me permets de parler ici de ma propre perception de la construction d’un monde littéraire. Je crois que, tout comme en arts visuels, j’ai une approche symbolique de la création. Pour moi, le monde des rêves la nuit ou éveillée, celui des désirs, des fantasmes, et de l’inconscience sont aussi réels que cette vie que je parcours les yeux ouverts dans un quotidien, dans lequel je cherche continuellement mes repères. Il n’existe aucune frontière entre cette supposée réalité et tout le reste. Et qui dit rêve, par exemple, dit symboles. Comme dans ma manière d’aborder les arts visuels, avec la gestalt thérapie, je conçois le processus d’écriture un peu de la même manière. Et c’est pourquoi je crois que j’ai tant besoin de la réclusion artistique, pour avoir lieu, temps et espace suffisant pour voir ces images qui sont miennes, entendre cette voix qui est la mienne, celle de l’âme, la plus vraie de toutes, du moins celle qui s’en approche le plus. Jusqu’au moment où j’ai senti que la voix de mon roman, celle de mon personnage, mais aussi celle de l’ensemble de l’œuvre en construction, était la mienne, enfin, il y a de cela très peu de temps, j’ai senti que j’avais besoin de prendre un léger recul en terme de lecture. J’avais pris l’habitude de lire beaucoup pendant le processus d’écriture. Pas que du roman, mais de la poésie, de la biographie, de l’essai, etc.. Mais dernièrement j’ai pris une distance pour entendre plus clairement ce qui tendait à sortir de mon esprit pour s’imprimer sur papier puis sur l’écran de mon ordinateur.
Mais tout de même, pendant des mois, j’ai lu beaucoup entre les phases d’écriture. J’ai d’abord pensé à relire quelques romans que j’aurais aimé écrire ou dont j’appréciais l’histoire ou le style de l’auteur. Je pense entre autres à La marche en forêt de Catherine Leroux, Les filles bleues de l’été de Mikella Nicol et Les laboureurs du ciel d’Isabelle Forest, trois romans que j’ai relu avec grand plaisir. J’ai aussi lu une panoplie d’autres romans qui m’ont tous laissés un petit quelque chose d’eux et qui, peut-être, sans le savoir, m’ont permis de comprendre quelque chose sur moi et sur le monde et que cela se reflète dans mon écriture et dans mon roman. La beauté de la lecture, le passage des mots, la vivacité des idées, la capacité à créer des liens entre soi et le monde par la lecture, la vie et l’écriture c’est presque magique. Autres que les livres, certains personnages réels ou fictifs m’ont aussi inspirés, que ce soit des gens croisés dans la vie ou sur écran. Je pense entre autres à la danseuse Isadora Duncan qui m’a inspiré le mouvement de mon histoire, avec sa biographie Ma vie et au film Big fish pour l’extraordinaire parallèle entre la vie et le conte. Il serait long et ardu de compiler la liste de mes inspirations, puisque tout ce que je vois, sens et ressens m’inspire.
Voilà enfin le point qu’il me tardait d’aborder, c’est-à-dire ma relation créative face à l’espace et au lieu de travail et mon rapport au temps, que ce soit dans la vie ou même dans l’histoire. Il est important d’apprendre à se connaître pour savoir comment on travail, comment on crée, mais aussi pour servir le mieux possible notre création, que ce soit dans son fond ou dans sa forme. C’est avec la gestalt en arts visuels que j’ai pris conscience de l’importance du lieu de création et de là, entre autres, est née la réclusion artistique. Presque tous les artistes, visuels, écrivains ou autres, sentent un jour le besoin de s’isoler, de se couper de tout et de tout le monde pour se connecter entièrement à leur création. Ils trouvent différents noms pour décrire l’idée, avec une amie écrivaine, on a décidé d’appeler ça réclusion. Outre le fait de se couper de tout, l’idée est de prendre conscience de comment on habite un lieu, de notre manière hautement personnelle de sentir le temps nous traverser et d’utiliser l’espace, souvent restreint, d’un lieu clos pour s’ouvrir à une autre forme de liberté et se permettre de vivre sans minute, sans heures et surtout, surtout sans attente. Nous devenons inatteignable et c’est comme si nous avions enfin la permission de partir en voyage au centre de nous, de vivre l’introspection totale. Tout cela permet d’effleurer des zones floues auxquelles nous ne portons pas attention habituellement. Toutes ces pertes de repères habituels. Et c’est encore plus fort de vivre cela dans une solitude pleine. On touche le vide, on le calcule, pour le transposer dans la création. C’est fort. C’est beau. Ça devient inévitable pour moi ce besoin de plonger, de replonger et à chaque fois, j’ai cette certitude d’avoir fait un bond énorme dans ma création. Mais je ne dis pas que c’est facile. Simple, oui, mais pas facile. C’est même très difficile. Surtout la première journée, ensuite le rythme s’installe et la connexion se fait et là, quelque chose se passe. Je pourrais facilement comparer cela aux trois pages d’écriture du matin, proposées par Julia Cameron dans Libérez votre créativité. Ce n’est qu’au bout des trois pages, comme au bout des trois jours de réclusion, que je privilégie, que je sens l’évolution. Et comme lorsque l’on sent qu’un tableau est terminé, vient un moment où tous les morceaux du roman se mettent en place et ne reste plus qu’à terminer l’écriture, en sachant que le plus gros, ce grand mur qu’il fallait franchir, est enfin tombé.
Mon roman me fait voyager et il me suit dans mes déambulations. À travers tous ces lieux, ces espaces, ces moments passés ensemble, on se transforme, on se crée. Il était inévitable pour nous deux, de se retrouver à Percé, la belle, avec son énergie minérale et son âme si puissante, pour que je puisse me réaliser en me rendant au bout de ce projet et ça y est presque !
Libérez votre créativité, Julia Cameron
La marche en forêt, Catherine Leroux
Les filles bleues de l’été, Mikella Nicol
Les laboureurs du ciel, Isabelle Forest
Ma vie, Isadora Duncan
Big Fish, Tim Burton (film)
(https://chezlefilrouge.co/2016/05/12/lenvers-du-decor-processus-decriture-premiere-partie/)
(https://chezlefilrouge.co/2016/05/13/lenvers-du-decor-processus-decriture-deuxieme-partie/)
Processus d’écriture – l’envers du décor
Il m’est arrivé, à quelques reprises déjà, d’effleure le fait que je suis présentement, et ce depuis plusieurs mois, en plein processus d’écriture. J’ai pensé qu’il serait intéressant de vous partager l’envers du décor de l’élaboration d’un roman, à partir de mon expérience personnelle. Voici donc, en deux parties, le récit de mon voyage au cœur même de la littérature.
Tenez-vous prêtes et prêts, parce que oui, une fois de plus, je vous parlerez de Julia Cameron et de son indispensable ouvrage Libérez votre créativité. Je ne peux qu’affirmer tous les changements positifs vers une plus grande réalisation de moi qui me sont venus en traversant ces pages et je n’ai pas fini, oh non! Mais bien sûr, avant de m’élancer dans l’aventure Cameron, j’étais déjà habité par l’envie de réaliser ce rêve, c’est-à-dire l’écriture d’un roman, mais aussi celui de vivre une «vraie vie d’écrivaine».
J’ai toujours écrit pour partager et d’une certaine manière pour publier, sans que ce ne soit le centre de mon désir, mais plutôt une suite. L’art et l’écriture existent conjointement en moi, même si j’ai toujours eu une relation de co-dépendance avec l’écriture. Alors que l’art, les arts visuels, la danse, m’aident à mieux respirer, l’écriture, elle, me confronte continuellement avec la part la plus creuse de moi. Au cégep, j’ai écrit un roman. Quelques mois de travail et aucune notion. Mais tout de même, je suis fière d’être parvenue à exprimer quelque chose de vrai, à le partagé et à avoir touché quelques personnes. Ce que j’écris est aussi difficile à écrire, qu’à lire par moment. Immédiatement après, j’ai voulu recommencé. Mais beaucoup d’années se sont écoulées entre ce premier jet, je dirais, de ce qui renaît aujourd’hui. Entre temps, j’ai grandis à travers quelques nouvelles, en recherche d’une voix personnelle et d’un style à moi. Outre l’univers, l’ambiance, les personnages et mes tics symboliques, qui reviennent fréquemment encore et toujours, j’ai cherché à montrer la vie dans mes mots.
Je manquais d’assurance envers mon écriture, je me comparais, je n’osais pas suffisamment, j’avais un peu l’impression de tourner en rond, mais au plus profond de moi, je savais que je voulais entamer un projet d’écriture, un recueil de nouvelles ou un roman, je ne savais tout simplement pas comment m’y prendre, ni par où commencer. Puis est venue ma rencontre avec Julia Cameron. Dès les premières pages de Libérez votre créativité, elle nous demande d’affirmer qui nous sommes et de faire ainsi face à tous nos démons contre-productifs, contre-artistiques. J’ai affirmé que j’étais écrivaine. Comme quelques années plus tôt, j’avais affirmé être artiste. Je continue de croire que c’est une façon d’être, plutôt qu’un résultat reconnu. L’écriture vit en moi, comme un morceau de mon âme, l’art aussi. Alors en juillet 2014, j’ai commencé à écrire comme ça et à avoir l’idée d’un projet à plus long terme et complet. J’ai alors soumis mon projet d’écriture au programme Jeunes volontaires, parce que je cherchais une possibilité de me consacrer entièrement à mon écriture. Pendant une année, d’avril 2015 à mars 2016, j’ai pu bénéficier d’une subvention pour permettre l’élaboration d’un monde fictif et personnel. Cela m’a aussi permis de vivre l’expérience du camp littéraire Félix, puis de me louer une petite maison à Percé tout l’hiver, pour favoriser l’introspection nécessaire à l’écriture.
Je qualifierais à la fois de relation et de thérapie ce que je vis envers l’écriture de cet ouvrage. Comme s’il s’agissait d’une bête sauvage que je dois enjôler, j’ai dû, à travers les mois, trouver des manières de satisfaire mon roman, en lui offrant du temps, tout en me sentant libre d’aller vers lui. Parce que je suis consciente de sa force de caractère (!) lorsqu’enfin je me mets au travail. Le projet d’écriture prend alors toute la place dans mon esprit et je suis entièrement habité par l’univers qui s’ouvre ici devant et en moi.
Depuis 2011, j’inclus la «réclusion artistique» dans ma démarche visuelle et maintenant littéraire. En fait, il s’agit seulement de me couper de tout ce qui pourrait me relier au monde extérieur (heure, internet, téléphone, télévision, radio, fenêtre, gens de l’entourage) pour pouvoir me concentrer complètement et uniquement sur la création.
Je reviendrais sur le sujet un peu plus loin.
Tout en apprivoisant le roman, le projet en cours, l’histoire et l’univers en construction, j’ai dû apprendre à accepter certains pans de la vie d’artiste que je connaissais, sans les avoirs vécus avant : l’horaire de travail, les phases de création, les nombreuses incertitudes, la patience, les murs à escalader et à passer, les préjugés aussi, parce que bien sûr, ça vient irrémédiablement avec la vie d’artiste, puisque tellement incomprise. C’est en fait, tout un travail d’estime de soi que de choisir d’écrire un livre et d’avoir la chance d’être payé pour le faire.
Je crois que l’une des choses que je trouve le plus difficile, après mon rapport amour/haine avec l’omniprésence de la technologie, c’est de trouver son rythme de création, mais surtout d’accepter ce rythme. Il y a certains moments où il est impossible de se mettre au travail sans être passé par l’apprivoisement, qui consiste en fait, à remonter dans mes notes sur le projet, à relire ce que j’ai déjà écrit et à réfléchir les liens, la logique et la pertinence des symboles. Il est difficile de ne pas se comparer aux travailleurs non artistes, non autonomes, sans tomber dans la culpabilité et la comparaison, alors qu’il existe tout un monde entre les deux manières de concevoir le travail. Tout de même, je ne peux pas oublier que je travaille à la construction d’un monde, que je crée de toutes pièces des gens avec un passé, un présent et un futur et des lieux avec tout ce qui les font réellement exister sur papier. Une autre réalité. Une nouvelle réalité. Mais tout de même une réalité. L’été dernier, par exemple, j’avais prévu écrire et travailler sur mon projet, mais on m’a approché et on m’a offert un emploi de rêve que je n’ai absolument pas pu refuser. Je pensais pouvoir poursuivre l’écriture conjointement à tout le reste, mais plus les semaines passaient et plus je me rendais bien compte que c’était impossible, pour moi, de mener de front un emploi aussi varié à la galerie d’art et l’écriture d’un roman. Il m’a été atrocement difficile de me l’avouer, je m’obstinais en vain, jusqu’au jour où j’ai compris que je devais mettre mon roman de côté quelque temps. Ce qui en fait a été très bénéfique. Plus j’apprends à vivre à mon rythme et plus je crois que la vie s’accorde à mes actions. Mon roman naît de qui je suis, de comment je vis, de ce que je vois et même s’il s’agit d’une fiction, il est encore plus moi que je ne saurais jamais l’être moi-même.
Comme j’aime me le rappeler souvent, chaque jour je change, parfois de manière plus imperceptible et d’autres fois c’est plus frappant. Travailler plusieurs mois d’affiler sur un même projet, amène inévitablement une évolution de la part des deux côtés. Mon roman à évolué à mon contact, suivant les courbes de ma vie, tout comme j’ai changé à travers l’écriture et même les raisons qui m’ont poussées à l’écrire se sont consolidées à l’intérieur du processus. Je n’entrerais pas dans les détails ici, mais disons qu’à travers l’écriture se sont tissés un grand nombre de liens au bout desquels ont éclatés des ampoules qui m’ont davantage éclairées sur ma personne et sur les raisons qui me poussent à poursuivre ce projet, ma propre quête personnelle et identitaire. Bien qu’il soit plaisant, puis nécessaire d’écrire, il me fallait savoir pourquoi je le faisais, pour aller au bout de cette raison, puis évoluer et passer à une autre étape de la vie.
L’écriture avance dans les mêmes pas que la vie, seulement elle tourne autour comme un joli fantôme, une présence tourbillonnante.
J’ai toujours fait les choses un peu à ma tête, j’apprends d’une manière moins conventionnelle, je perçois la vie avec ma vision bien personnelle. Okay, tout le monde est différent, comprend et apprend de manière unique. Disons plutôt que je ne suis pas très bonne pour me perdre dans des moules. Alors même si j’ai étudié en littérature quelque temps, même si j’ai toujours écrit et même si j’ai décidé d’aborder le roman, je le fais à ma manière et comme je le sens surtout. Dans toutes circonstances de ma vie, l’émotion passe avant tout. Je suis une femme de feeling et je tends de plus en plus à développer cela dans tous les pans de ma vie. Mon rapport à l’écriture a donc toujours été plutôt intuitif, sans jamais vouloir se fondre dans les modèles ou à suivre les «façons de faire». Ça m’a pris des mois pour me détacher de toutes les influences extérieures qui, me semblait-il, me gardait toujours trop à la surface de ce que je cherchais à atteindre dans mon écriture et dans mon histoire. Je suis passé par plusieurs styles et par quelques types de narration, jusqu’à m’en détacher complètement et à tout simplement laisser parler mon univers et mon personnage principal. J’ose le dialogue d’égal à égal. J’avais débuté l’écriture dans une liberté totale où j’écrivais à la main, à la chandelle, le soir, dans un chalet, avec de la musique dans les oreilles. J’écrivais à la troisième personne du singulier et je semblais étouffer avec mon personnage, alors j’ai taché de tout changer. Je me suis mise à avoir un horaire fixe, à tout réfléchir et à travailler à l’ordinateur, dans le silence, jusqu’à ce que je n’entende plus rien. Tout avait cessé d’avancer, même mon personnage se trouvait prisonnier d’un immense labyrinthe. Un soir, j’ai allumé des chandelles, j’ai sorti mon stylo et branché des écouteurs à mes oreilles puis c’est revenu. Cette fois mon personnage parlait au «je», il voulait s’exprimer, être entendu, alors je lui ai donné parole.
Je me questionnais beaucoup par rapport à mon style d’écriture, autant sur ma façon de construire les phrases, que sur l’atmosphère très symbolique de mon écriture. Je me demandais si ça valait quelque chose, puis comme je m’étais dit que moi aussi je pouvais écrire un roman, je me suis dit que ce n’était ni plus ni moins que mon style à moi et que je n’avais qu’à le suivre. Juste pour voir !Je ne sais jamais si c’est commun ou si c’est quelque chose que je vis personnellement, je ne me pose pas tant la question et puis je me trouve bien seule avec tout cet univers qu’est la création littéraire. Il m’arrive trop peu de pouvoir en parler ou de partager. Et mon silence vient du fait que je développe tranquillement cette forme de création et l’estime grimpe doucement en parallèle. Donc, une fois de plus je me permets de parler ici de ma propre perception de la construction d’un monde littéraire. Je crois que, tout comme en arts visuels, j’ai une approche symbolique de la création. Pour moi, le monde des rêves la nuit ou éveillée, celui des désirs, des fantasmes, et de l’inconscience sont aussi réels que cette vie que je parcours les yeux ouverts dans un quotidien, dans lequel je cherche continuellement mes repères. Il n’existe aucune frontière entre cette supposée réalité et tout le reste. Et qui dit rêve, par exemple, dit symboles. Comme dans ma manière d’aborder les arts visuels, avec la gestalt thérapie, je conçois le processus d’écriture un peu de la même manière. Et c’est pourquoi je crois que j’ai tant besoin de la réclusion artistique, pour avoir lieu, temps et espace suffisant pour voir ces images qui sont miennes, entendre cette voix qui est la mienne, celle de l’âme, la plus vraie de toutes, du moins celle qui s’en approche le plus. Jusqu’au moment où j’ai senti que la voix de mon roman, celle de mon personnage, mais aussi celle de l’ensemble de l’œuvre en construction, était la mienne, enfin, il y a de cela très peu de temps, j’ai senti que j’avais besoin de prendre un léger recul en terme de lecture. J’avais pris l’habitude de lire beaucoup pendant le processus d’écriture. Pas que du roman, mais de la poésie, de la biographie, de l’essai, etc.. Mais dernièrement j’ai pris une distance pour entendre plus clairement ce qui tendait à sortir de mon esprit pour s’imprimer sur papier puis sur l’écran de mon ordinateur.
Mais tout de même, pendant des mois, j’ai lu beaucoup entre les phases d’écriture. J’ai d’abord pensé à relire quelques romans que j’aurais aimé écrire ou dont j’appréciais l’histoire ou le style de l’auteur. Je pense entre autres à La marche en forêt de Catherine Leroux, Les filles bleues de l’été de Mikella Nicol et Les laboureurs du ciel d’Isabelle Forest, trois romans que j’ai relu avec grand plaisir. J’ai aussi lu une panoplie d’autres romans qui m’ont tous laissés un petit quelque chose d’eux et qui, peut-être, sans le savoir, m’ont permis de comprendre quelque chose sur moi et sur le monde et que cela se reflète dans mon écriture et dans mon roman. La beauté de la lecture, le passage des mots, la vivacité des idées, la capacité à créer des liens entre soi et le monde par la lecture, la vie et l’écriture c’est presque magique. Autres que les livres, certains personnages réels ou fictifs m’ont aussi inspirés, que ce soit des gens croisés dans la vie ou sur écran. Je pense entre autres à la danseuse Isadora Duncan qui m’a inspiré le mouvement de mon histoire, avec sa biographie Ma vie et au film Big fish pour l’extraordinaire parallèle entre la vie et le conte. Il serait long et ardu de compiler la liste de mes inspirations, puisque tout ce que je vois, sens et ressens m’inspire.
Voilà enfin le point qu’il me tardait d’aborder, c’est-à-dire ma relation créative face à l’espace et au lieu de travail et mon rapport au temps, que ce soit dans la vie ou même dans l’histoire. Il est important d’apprendre à se connaître pour savoir comment on travail, comment on crée, mais aussi pour servir le mieux possible notre création, que ce soit dans son fond ou dans sa forme. C’est avec la gestalt en arts visuels que j’ai pris conscience de l’importance du lieu de création et de là, entre autres, est née la réclusion artistique. Presque tous les artistes, visuels, écrivains ou autres, sentent un jour le besoin de s’isoler, de se couper de tout et de tout le monde pour se connecter entièrement à leur création. Ils trouvent différents noms pour décrire l’idée, avec une amie écrivaine, on a décidé d’appeler ça réclusion. Outre le fait de se couper de tout, l’idée est de prendre conscience de comment on habite un lieu, de notre manière hautement personnelle de sentir le temps nous traverser et d’utiliser l’espace, souvent restreint, d’un lieu clos pour s’ouvrir à une autre forme de liberté et se permettre de vivre sans minute, sans heures et surtout, surtout sans attente. Nous devenons inatteignable et c’est comme si nous avions enfin la permission de partir en voyage au centre de nous, de vivre l’introspection totale. Tout cela permet d’effleurer des zones floues auxquelles nous ne portons pas attention habituellement. Toutes ces pertes de repères habituels. Et c’est encore plus fort de vivre cela dans une solitude pleine. On touche le vide, on le calcule, pour le transposer dans la création. C’est fort. C’est beau. Ça devient inévitable pour moi ce besoin de plonger, de replonger et à chaque fois, j’ai cette certitude d’avoir fait un bond énorme dans ma création. Mais je ne dis pas que c’est facile. Simple, oui, mais pas facile. C’est même très difficile. Surtout la première journée, ensuite le rythme s’installe et la connexion se fait et là, quelque chose se passe. Je pourrais facilement comparer cela aux trois pages d’écriture du matin, proposées par Julia Cameron dans Libérez votre créativité. Ce n’est qu’au bout des trois pages, comme au bout des trois jours de réclusion, que je privilégie, que je sens l’évolution. Et comme lorsque l’on sent qu’un tableau est terminé, vient un moment où tous les morceaux du roman se mettent en place et ne reste plus qu’à terminer l’écriture, en sachant que le plus gros, ce grand mur qu’il fallait franchir, est enfin tombé.
Mon roman me fait voyager et il me suit dans mes déambulations. À travers tous ces lieux, ces espaces, ces moments passés ensemble, on se transforme, on se crée. Il était inévitable pour nous deux, de se retrouver à Percé, la belle, avec son énergie minérale et son âme si puissante, pour que je puisse me réaliser en me rendant au bout de ce projet et ça y est presque !
Libérez votre créativité, Julia Cameron
La marche en forêt, Catherine Leroux
Les filles bleues de l’été, Mikella Nicol
Les laboureurs du ciel, Isabelle Forest
Ma vie, Isadora Duncan
Big Fish, Tim Burton (film)