Exposer en temps de pandémie
<<Îles>>, une exposition présentée au Musée acadien du Québec à Bonaventure en Gaspésie, du 22 mars au 17 mai 2020 (mais pour des raisons pandémiques, ces dates ne veulent plus vraiment rien dire !)
Processus créatif autour d’<<Îles>>
Je répète souvent que l’art et la vie sont indissociables. Lorsque j’ai créé ce qui allait devenir l’exposition <<Îles>> pour le Musée acadien du Québec à Bonaventure, en Gaspésie, je me suis dit que je devais apprendre à m’abandonner comme telle parce qu’autrement ce serait impossible pour moi de créer quoi que ce soit. Je crée avec ce que je suis, au moment de poser le geste, de l’action. Par la suite, les œuvres poursuivent leur vie de différentes manières. Tant par leurs différents rapports entre elles, que dans leurs relations et dialogues avec le regardeur, le visiteur, celui qui s’approprie par sa propre poésie, le sens de l’œuvre, d’un regroupement d’œuvres dans un espace donné.
J’ai décidé de vous parler, assez brièvement, de mon processus créatif et de l’exposition elle-même, puisqu’elle risque de passer complètement inaperçu sous l’éclat du grand virus. Ce n’est pas pour autant qu’elle n’existe pas et que je ne la porte pas en moi vers vous.
Mon exposition, contenant une série d’œuvres réalisées dans les trois dernières années, porte le titre <<Îles>>. <<Îles>>, parce que pour moi, nous sommes, toi, moi, elle, lui, toutes et tous une suite d’îles. Au fil d’une vie, le visage que nous croisons dans le miroir ou dans le regard de l’autre se multiplie à l’infini, se redéfinie, s’apprivoise, se rejette, s’observe, se côtoie dans le silence ou dans les hurlements. Nous sommes pluriels, des êtres pluriels. Bien que nous tentons à tout prix de vivre selon certains principes précis, il reste des espaces de bascule, des lieux sans point d’équilibre, des noyaux bruts, des nœuds à veiller et des lieux à visiter. Un infini de lieux à visiter à même son univers intime, intégré à l’univers social et à l’époque. Ton histoire, dans l’Histoire. Tes fictions, tes poèmes, ton être singulier dans le brouhaha du passage d’une vie.
C’est en gros ce que j’ai cherché à exprimer au départ. En touchant à plusieurs sous-thèmes que j’aborde dans mon travail tant littéraire que visuel, soit la relation au corps, à ma féminité, à la nature, qu’à l’aspect documentaire des choses, ainsi qu’au thème du rituel.
Je savais que j’allais présenter une sélection de tableaux abstraits créés à la fin de 2017, pour l’exposition <<Les corps-lieux>> au Musée de la Gaspésie. Je visualisais de poursuivre sur cette lancée abstraite, mais comme je le disais plus haut, pour moi, il est nécessaire de faire coïncider art et vie. Et comme ma vie était en plein bouleversement au moment de travailler sur <<Îles>>, cette idée rationnelle de créer dans l’abstraction s’est rapidement résorbée. J’ai vite compris qu’il me faudrait renouer avec quelque chose que je croyais acquis, mais qui ne l’était plus et qui ne le sera jamais entièrement, ma liberté et ma pulsion artistique.
Il me semble qu’en début de grossesse, j’ai été complètement lessivée par l’arrivée de ce petit être dans mon ventre. Que ce soit les hormones ou tous vecteurs d’anxiété autour et en moi, je n’avais plus le cœur, l’esprit, le corps et la poésie à la création. Je devais reconstruire sur du neuf, refaire le chemin vers moi, en reprenant du départ. Dénicher une suite de nouveaux codes pour dire <<j’existe>>.
Je me suis donc intéressée à l’art des maîtres anciens.
J’ai eu la chance d’aller visiter le Musée Isabella Stewart Gardner à Boston, il y a quelques mois et je suis littéralement tombée amoureuse des lieux. Si je n’ai pas encore beaucoup voyagé dans ma vie, je n’avais encore jamais été en contact avec autant d’œuvres de grands maîtres. (Quand j’étais en secondaire 5, j’ai visité le Musée Metropolitain de New York. 2h top chrono, ne connaissant presque rien aux œuvres qui défilaient devant mes yeux d’adolescente.) Alors je suis tombée follement amoureuse du Musée Isabella Stewart Gardner. Tant pour les lieux mêmes, que pour les œuvres qui ont croisés mon cœur. De cette visite, j’ai ramené un croquis rapide d’une œuvre de Giovanni Bellini représentant la Madone et l’enfant Jésus, Virgin with the sleeping child on a parapet.
Depuis plusieurs années, je concentrais mes intérêts artistiques à l’art de mes contemporains et à la libération de mon art. J’étais curieuse de ce qui se manifestait en moi et je connaissais ma manière d’accéder à mon centre créatif. Mais à partir du début de ma grossesse. Le grand vide. Tout espace occupé par l’anxiété me ramenait à moi d’une manière entièrement inconnue. Je ne ressentais rien. Je ne reconnaissais rien. Alors, je me suis tournée, d’abord, vers ce tableau de la vierge Marie et de son enfant d’où se dégage un amour bravant toutes temporalité. Puis j’ai entamé un dialogue entre nous. De mère à mère.
J’avais le désir de créer de très grands formats, alors je suis allée me chercher une toile vierge sans cadre de 6 pieds.
Mais avant, j’en avais acheté une de 12 pieds. Je voulais tracer quelque chose comme mon territoire intérieur, une sorte de carte psychique, la carte de mon île en mouvement, en transformation, la map de mes codes hétéroclites et de mes îles en fragments.
Sur la toile de 6 pieds, accroché au mur du salon de l’appartement montréalais, j’ai esquissé mon interprétation de la Madone et l’enfant de Bellini, en rajoutant une deuxième femme et un deuxième enfant, pour nous représenter mon futur bébé et moi.
Mon approche n’avait rien de religieux, il était basé sur cette nécessité de contrer la solitude ressentie face à ce bouleversent sans précédent dans ma vie. C’est pourquoi ce dialogue entre mères.
J’ai d’abord pensé l’œuvre dans un monochrome bleu. Laissant la toile inachevée des semaines durant. Dialoguant silencieusement avec elle. Jour après jour. Jusqu’à ce qu’en me couchant un soir, me vient l’idée d’ajouter des taches ocres sur la toile pour la rendre plus lumineuse. (Ceux et celles qui me connaissent savent à quel point j'aime l'ocre et le jaune.)
Un soir, en écoutent du Céline Dion très fort dans mes écouteurs et en pressant à répétition sur My heart will go on, j’ai rempli l’œuvre de taches de couleurs, un peu comme l’aurait fait un peintre impressionniste. Quand l’œuvre fut achevée, je me suis reconnue en elle. Les personnages se fondaient dans le paysage, comme je me sentais fondre dans ma vie. Et cette peur inquiétante de m’éloigner de mon être artiste au profit de mon rôle de mère ... Pendant un temps, j'ai sur-questionné la question du double rôle, celui qu'on semblait attendre de moi depuis toujours et celui qui me fait moi, qui m'habite moi. Comment faire coïncider les deux rôles, être mère et être artiste dans une seule personne ?
Par la suite, ayant touché au grand format, j’ai eu envie de poursuivre sur ma lancée, alors je me suis à nouveau procuré une toile de 6 pieds. C’est là que j’ai peint une femme enceinte et nue, allongée dans le paysage, comme s’il s’agissait d’une île. De l’Île Bonaventure, à Percé, laquelle j’ai côtoyé amoureusement entre 2015 à 2018. Je me suis aussi inspirée de l’œuvre d’un grand maître pour esquisser la silhouette de cette femme. Mais je ne me souviens plus s’il s’agit d’un Klimt ou autre. Impossible de retrouver ma référence pour l’instant.
Outre les œuvres peintes, je présente aussi deux fresques photographiques et quelques points d’installations. Les fresques ou suites de photographies en noir et blanc, sont pour moi des poèmes visuels. Comme on lirait un poème, il n’est pas nécessaire d’en comprendre le sens exact, car celui-ci se soulève par lui-même au contact du regardeur sensible. La première fresque, pour moi, exprime la libération de l’être par le retour vers notre naïveté enfantine. La deuxième fresque parle de la femme sauvage et du rituel entre celle-ci et la nature. Autrement, le sens se dévoile pour qui les regarde.
Finalement, j’ai créé une façon de mouvement, de dynamique et de vie avec les roches et les pierres accumulées avec amour durent mes dernières années à marcher les plages percéennes. Mon amour pour Percé est incontestable. Et je tiens à ce qu’il continu de me nourrir encore et encore.
Les roches et les pierres conservent en elles tant d’énergie et d’histoires d’époques qui viennent d’au-delà de ce que je peux imaginer ! Et de les ramasser jour après jour durant une longue période de ma vie m’a permis de me rendre à l’essentielle. C’est une forme de méditation et d’accueil de tous ces trésors offerts par mer.
Pour revenir au titre <<Îles>>, il exprime d’abord mes divers angles, puis quand il sera possible aux gens d’entrer en contact avec cet univers créé pour eux, ils verront aussi resurgir différentes facettes d’eux-mêmes, leurs îles intérieures en transformation, ainsi que leur vaste poésie singulière.
Alors en attendant de pouvoir dévoiler le résultat au public, si c’est possible avant la fin de l’exposition, je vous l’offre en images et en mots ici.
Bisous,
Louba
<<Îles>>, une exposition présentée au Musée acadien du Québec à Bonaventure en Gaspésie, du 22 mars au 17 mai 2020 (mais pour des raisons pandémiques, ces dates ne veulent plus vraiment rien dire !)
Processus créatif autour d’<<Îles>>
Je répète souvent que l’art et la vie sont indissociables. Lorsque j’ai créé ce qui allait devenir l’exposition <<Îles>> pour le Musée acadien du Québec à Bonaventure, en Gaspésie, je me suis dit que je devais apprendre à m’abandonner comme telle parce qu’autrement ce serait impossible pour moi de créer quoi que ce soit. Je crée avec ce que je suis, au moment de poser le geste, de l’action. Par la suite, les œuvres poursuivent leur vie de différentes manières. Tant par leurs différents rapports entre elles, que dans leurs relations et dialogues avec le regardeur, le visiteur, celui qui s’approprie par sa propre poésie, le sens de l’œuvre, d’un regroupement d’œuvres dans un espace donné.
J’ai décidé de vous parler, assez brièvement, de mon processus créatif et de l’exposition elle-même, puisqu’elle risque de passer complètement inaperçu sous l’éclat du grand virus. Ce n’est pas pour autant qu’elle n’existe pas et que je ne la porte pas en moi vers vous.
Mon exposition, contenant une série d’œuvres réalisées dans les trois dernières années, porte le titre <<Îles>>. <<Îles>>, parce que pour moi, nous sommes, toi, moi, elle, lui, toutes et tous une suite d’îles. Au fil d’une vie, le visage que nous croisons dans le miroir ou dans le regard de l’autre se multiplie à l’infini, se redéfinie, s’apprivoise, se rejette, s’observe, se côtoie dans le silence ou dans les hurlements. Nous sommes pluriels, des êtres pluriels. Bien que nous tentons à tout prix de vivre selon certains principes précis, il reste des espaces de bascule, des lieux sans point d’équilibre, des noyaux bruts, des nœuds à veiller et des lieux à visiter. Un infini de lieux à visiter à même son univers intime, intégré à l’univers social et à l’époque. Ton histoire, dans l’Histoire. Tes fictions, tes poèmes, ton être singulier dans le brouhaha du passage d’une vie.
C’est en gros ce que j’ai cherché à exprimer au départ. En touchant à plusieurs sous-thèmes que j’aborde dans mon travail tant littéraire que visuel, soit la relation au corps, à ma féminité, à la nature, qu’à l’aspect documentaire des choses, ainsi qu’au thème du rituel.
Je savais que j’allais présenter une sélection de tableaux abstraits créés à la fin de 2017, pour l’exposition <<Les corps-lieux>> au Musée de la Gaspésie. Je visualisais de poursuivre sur cette lancée abstraite, mais comme je le disais plus haut, pour moi, il est nécessaire de faire coïncider art et vie. Et comme ma vie était en plein bouleversement au moment de travailler sur <<Îles>>, cette idée rationnelle de créer dans l’abstraction s’est rapidement résorbée. J’ai vite compris qu’il me faudrait renouer avec quelque chose que je croyais acquis, mais qui ne l’était plus et qui ne le sera jamais entièrement, ma liberté et ma pulsion artistique.
Il me semble qu’en début de grossesse, j’ai été complètement lessivée par l’arrivée de ce petit être dans mon ventre. Que ce soit les hormones ou tous vecteurs d’anxiété autour et en moi, je n’avais plus le cœur, l’esprit, le corps et la poésie à la création. Je devais reconstruire sur du neuf, refaire le chemin vers moi, en reprenant du départ. Dénicher une suite de nouveaux codes pour dire <<j’existe>>.
Je me suis donc intéressée à l’art des maîtres anciens.
J’ai eu la chance d’aller visiter le Musée Isabella Stewart Gardner à Boston, il y a quelques mois et je suis littéralement tombée amoureuse des lieux. Si je n’ai pas encore beaucoup voyagé dans ma vie, je n’avais encore jamais été en contact avec autant d’œuvres de grands maîtres. (Quand j’étais en secondaire 5, j’ai visité le Musée Metropolitain de New York. 2h top chrono, ne connaissant presque rien aux œuvres qui défilaient devant mes yeux d’adolescente.) Alors je suis tombée follement amoureuse du Musée Isabella Stewart Gardner. Tant pour les lieux mêmes, que pour les œuvres qui ont croisés mon cœur. De cette visite, j’ai ramené un croquis rapide d’une œuvre de Giovanni Bellini représentant la Madone et l’enfant Jésus, Virgin with the sleeping child on a parapet.
Depuis plusieurs années, je concentrais mes intérêts artistiques à l’art de mes contemporains et à la libération de mon art. J’étais curieuse de ce qui se manifestait en moi et je connaissais ma manière d’accéder à mon centre créatif. Mais à partir du début de ma grossesse. Le grand vide. Tout espace occupé par l’anxiété me ramenait à moi d’une manière entièrement inconnue. Je ne ressentais rien. Je ne reconnaissais rien. Alors, je me suis tournée, d’abord, vers ce tableau de la vierge Marie et de son enfant d’où se dégage un amour bravant toutes temporalité. Puis j’ai entamé un dialogue entre nous. De mère à mère.
J’avais le désir de créer de très grands formats, alors je suis allée me chercher une toile vierge sans cadre de 6 pieds.
Mais avant, j’en avais acheté une de 12 pieds. Je voulais tracer quelque chose comme mon territoire intérieur, une sorte de carte psychique, la carte de mon île en mouvement, en transformation, la map de mes codes hétéroclites et de mes îles en fragments.
Sur la toile de 6 pieds, accroché au mur du salon de l’appartement montréalais, j’ai esquissé mon interprétation de la Madone et l’enfant de Bellini, en rajoutant une deuxième femme et un deuxième enfant, pour nous représenter mon futur bébé et moi.
Mon approche n’avait rien de religieux, il était basé sur cette nécessité de contrer la solitude ressentie face à ce bouleversent sans précédent dans ma vie. C’est pourquoi ce dialogue entre mères.
J’ai d’abord pensé l’œuvre dans un monochrome bleu. Laissant la toile inachevée des semaines durant. Dialoguant silencieusement avec elle. Jour après jour. Jusqu’à ce qu’en me couchant un soir, me vient l’idée d’ajouter des taches ocres sur la toile pour la rendre plus lumineuse. (Ceux et celles qui me connaissent savent à quel point j'aime l'ocre et le jaune.)
Un soir, en écoutent du Céline Dion très fort dans mes écouteurs et en pressant à répétition sur My heart will go on, j’ai rempli l’œuvre de taches de couleurs, un peu comme l’aurait fait un peintre impressionniste. Quand l’œuvre fut achevée, je me suis reconnue en elle. Les personnages se fondaient dans le paysage, comme je me sentais fondre dans ma vie. Et cette peur inquiétante de m’éloigner de mon être artiste au profit de mon rôle de mère ... Pendant un temps, j'ai sur-questionné la question du double rôle, celui qu'on semblait attendre de moi depuis toujours et celui qui me fait moi, qui m'habite moi. Comment faire coïncider les deux rôles, être mère et être artiste dans une seule personne ?
Par la suite, ayant touché au grand format, j’ai eu envie de poursuivre sur ma lancée, alors je me suis à nouveau procuré une toile de 6 pieds. C’est là que j’ai peint une femme enceinte et nue, allongée dans le paysage, comme s’il s’agissait d’une île. De l’Île Bonaventure, à Percé, laquelle j’ai côtoyé amoureusement entre 2015 à 2018. Je me suis aussi inspirée de l’œuvre d’un grand maître pour esquisser la silhouette de cette femme. Mais je ne me souviens plus s’il s’agit d’un Klimt ou autre. Impossible de retrouver ma référence pour l’instant.
Outre les œuvres peintes, je présente aussi deux fresques photographiques et quelques points d’installations. Les fresques ou suites de photographies en noir et blanc, sont pour moi des poèmes visuels. Comme on lirait un poème, il n’est pas nécessaire d’en comprendre le sens exact, car celui-ci se soulève par lui-même au contact du regardeur sensible. La première fresque, pour moi, exprime la libération de l’être par le retour vers notre naïveté enfantine. La deuxième fresque parle de la femme sauvage et du rituel entre celle-ci et la nature. Autrement, le sens se dévoile pour qui les regarde.
Finalement, j’ai créé une façon de mouvement, de dynamique et de vie avec les roches et les pierres accumulées avec amour durent mes dernières années à marcher les plages percéennes. Mon amour pour Percé est incontestable. Et je tiens à ce qu’il continu de me nourrir encore et encore.
Les roches et les pierres conservent en elles tant d’énergie et d’histoires d’époques qui viennent d’au-delà de ce que je peux imaginer ! Et de les ramasser jour après jour durant une longue période de ma vie m’a permis de me rendre à l’essentielle. C’est une forme de méditation et d’accueil de tous ces trésors offerts par mer.
Pour revenir au titre <<Îles>>, il exprime d’abord mes divers angles, puis quand il sera possible aux gens d’entrer en contact avec cet univers créé pour eux, ils verront aussi resurgir différentes facettes d’eux-mêmes, leurs îles intérieures en transformation, ainsi que leur vaste poésie singulière.
Alors en attendant de pouvoir dévoiler le résultat au public, si c’est possible avant la fin de l’exposition, je vous l’offre en images et en mots ici.
Bisous,
Louba